Compte rendu de lecture : Apprendre avec les Serious Game ?

N-8664-12592_visuelJulian Alvarez, Damien Djaouti et Olivier Rampnoux

Canopé Editions, 2016. 129 p.

Préface André Tricot

On ne présente plus les auteurs, spécialistes du jeu sérieux depuis plusieurs années déjà.

 

Le livre est à la fois théorique et pratique, abstrait et concret, partant des acquis de la recherche mais ouvert sur les pratiques de classe.

Le 1er chapitre est consacré aux aspects théoriques de la question : qu’est-ce qu’un serious game (les définitions sont multiples) , comment classer les SG, ou que signifient les expressions serious gaming et gamification ? Etc.

Cette première partie est particulièrement intéressante en ce qu’elle fait le point sur la question et éclaircit des notions pas toujours très claires dans l’esprit de ceux qui parlent des SG, c’est à dire en ce moment un peu tout le monde.

A ma grande joie, j’ai enfin pu voir écrit noir sur blanc que les jeux classiques non numériques tels que nous les développons au réseau Ludus sont considérés comme des serious games. Alleluiah !

Ce n’est pas faute de l’avoir répété depuis longtemps mais la vague du SG numérique est tellement forte qu’elle balaye tout sur son passage. Je n’y croyais plus ! Les auteurs évoquent d’ailleurs l’expression « serious video game » pour caractériser les SG numérique. Pourquoi pas ? Cela a au moins le mérite de laisser exister dans l’esprit du public d’autres types de SG.

On retrouve les classifications déjà évoquées dans les précédents travaux des auteurs mais elles sont présentées sous une forme commode et ramassée et sont agrémentées de nombreux exemples y compris de jeux très récents comme le jeu de la LGV (ASCO-TP 2014) ou Vivre au temps des châteaux forts (CANOPE -CAEN, 2015). Enfin cette première partie s’achève sur une explication de concepts voisins tels que « serious gaming », « gamification » (ou ludification) ou encore du moins mediatisé « serious modding » qui consiste à modifier un jeu existant dans un but utilitaire, pédagogique en ce qui nous concerne. Les exemples proposés en appui sont d’ailleurs des jeux du réseau Ludus issus de la transformation, dans un but pédagogique, de jeux-modèles tels que le Cluedo ou Diplomacy.

La question centrale est bien sûr celle de l’intérêt du SG en classe. C’est l’objet d’une partie entière de l’ouvrage. Si aucune étude probante (ainsi que le rappelle André Tricot dans sa préface) n’est venue démontrer de manière définitive un intérêt pédagogique immédiat des SG on peut néanmoins repérer un intérêt du jeu en pédagogie dans au moins 5 domaines :

– d’abord la motivation des élèves. Elle est évidente pour tous ceux qui se lancent dans l’aventure.

– ensuite le jeu est une sorte de laboratoire dans lequel l’élève peut tâtonner et progresser par essai/erreurs ce qui est une façon d’apprendre nettement plus efficace que la démonstration d’un phénomène par le professeur, on en conviendra.

– la différenciation pédagogique est facilitée par la mise en œuvre de SG. C’est surtout vrai pour les SG numériques qui permettent à chacun d’aller à son rythme. C’est moins vrai des SG classiques dont le déroulement est plus souvent collectif.

– Pour finir, les auteurs signalent que certains jeux facilitent les interactions entre élèves, ce qui est vrai mais pas automatique. Cela dépend des jeux.

Enfin, last but not least, des SG offrent parfois aux élèves des représentations concrètes de phénomènes abstraits qu’ils peuvent avoir des difficultés à comprendre. Le jeu en quelque sorte permet de stimuler la création d’évocations mentales. Je l’ai souvent constaté par exemple dans des jeux simulant des systèmes politiques. Entre un organigramme compliqué de la démocratie athénienne et une petite simulation de prise de décision à Athènes au Vème siècle av. JC, devinez laquelle des deux approches est la plus efficace…

Les auteurs n’éludent pas la question des limites du jeu en pédagogie, et il y en a. L’utilisation de jeux non pertinents ou utilisés en dehors de toute démarche pédagogiques sont les plus fréquentes probablement. Il existe aussi des limites matérielles (ordinateurs poussifs ou licences insuffisantes par ex.) mais qui à mon sens sont les plus « faciles » à contourner, sinon dans l’immédiat du moins à terme plus ou moins lointain. Mais il est clair que sur le plan matériel, globalement – et sans ignorer les difficultés réelles auxquelles se heurtent encore nombre d’enseignants – la situation s’améliore progressivement.

Enfin, il existerait des freins idéologiques chez les enseignants eux mêmes : programmes trop chargés, crainte des réactions de la hiérarchie ou réticence face à l’usage de jeux en classe… Ils existent assurément mais finalement pas tant que ça : l’expérience du réseau Ludus le prouve puisque dès 1998 nos stages de formation attiraient de nombreux enseignants. Il est vrai que ce n’était pas prioritairement des jeux vidéos. Mais quand même ! L’idée d’utiliser des jeux pour enseigner et pour apprendre a sans doute fait, de manière discrète voire souterraine, beaucoup plus de chemin que l’on ne le croit souvent, et beaucoup plus assurément que les cries d’orfraies anti-ludiques de nos imprécateurs habituels ne peuvent le laisser penser. Ils ne sont en rien représentatifs de la majorité de la profession, probablement plus nuancée sur la question. .

Trouver et choisir un serious game pertinent est une autre difficulté à laquelle peut se heurter l’apprenti ludopédagogue. Le chapitre suivant sur lequel je ne m’étendrais pas donne de nombreuses pistes pour trouver, analyser et évaluer des SG utilisables avec les élèves. Des méthodes très pointues sont proposées. Il n’en reste pas moins (mais ce n’est que mon avis) que l’expérience empirique, le test de jeux avec les élèves reste irremplaçable pour se faire une idée des potentialités pédagogiques des SG que l’on souhaite utiliser en classe.

Qu’apprend-on, comment apprend-on avec les SG ? Tel est le sujet, central, du 4ème chapitre de l’ouvrage.

Après avoir rappelé  quelques théories de l’apprentissage les auteurs analysent les relations entre le jeu et l’apprentissage. Le premier écueil, bien analysé est la tension permanente qui existe entre le jeu et les objectifs d’apprentissage. Cette tension risque toujours de tirer l’activité ludo-pédagogique soit du côté du jeu au point d’en faire perdre de vue les objectifs d’apprentissage, soit au contraire de mettre exagérément l’accent sur les contenus scolaires au point que le jeu disparaît derrière eux. De la même manière il importe de bien doser la liberté laissée aux élèves. Trop de liberté nuit aux apprentissages et risque de tirer l’activité bien loin des objectifs fixés par l’enseignant mais trop peu de liberté nuit gravement à l’aspect ludique de l’activité qui finit par ressembler à n’importe quelle autre séance de classe. Le rôle de l’enseignant est central dans la conception et la mise en œuvre d’activités ludiques.

Ce qui compte le plus est l’intégration de la phase de jeu dans une séquence pédagogique plus large, préparée en amont par l’explicitation par l’enseignant des objectifs poursuivis et suivie en aval par un débriefing, une mise à distance, ce qu’au Réseau Ludus nous nommons l’exploitation pédagogique. C’est à cet instant que le jeu prend (ou pas) une grande partie de sa dimension pédagogique.

Des conseils d’organisation et de construction de séquences pédago-ludiques sont également apportés par les auteurs. Nous y avons retrouvé avec plaisir les 10 commandements du meneur de jeu que nous avons rédigés dans le cadre du réseau Ludus au tournant des années 2000 et qui sont toujours disponibles sur ce blog (http://lewebpedagogique.com/reseauludus/creer-un-jeu/).

Enfin, une présentation des différentes façons d’utiliser le SG est proposée, du jeu comme objet d’analyse au jeu comme outil d’évaluation en passant par le jeu pour acquérir ou consolider des connaissances ou des savoir-faire.

Une autre possibilité est la création de jeu par les élèves, qui dans le livre est reportée au dernier chapitre. C’est aussi une façon d’utiliser le jeu en classe, non pas comme média mais comme projet individuel ou collectif. Autant je reste circonspect sur les possibilités de faire créer des SG numériques par les élèves (toujours possibles mais extrêmement gourmande en temps et en ressource) autant la création de SG non numériques est une activité d’une très grande richesse et qui ne nécessite pas forcément énormément de temps ni de matériel.

La création de SG numériques par les enseignants est abordée elle aussi dans le dernier chapitre. Là encore, mis à part quelques passionnés peu d’enseignants sont susceptibles de se lancer dans l’aventure certes passionnante (enfin j’imagine !) mais elle aussi très chronophage et nécessitant (si on souhaite sortir des des « usines à jeux » comme les appellent les auteurs) des véritables connaissances en programmation. C’est probablement jouable (sans jeu de mots) pour créer des jeux simples mais nettement plus compliqués si on veut se lancer dans la simulation par exemple.

L’idéal en fait est de trouver une société d’édition qui a un projet de SG et d’en devenir le conseiller pédagogique ! Là, on peut laisser libre cours à son imagination et laisser bosser les spécialistes sur les aspects techniques ! Mais bon… Ca n’arrive pas tous les jours non plus…

Au final ce petit mais riche ouvrage, que je recommande chaudement,  apporte de nombreuses réponses aux questions que vous ne vous étiez peut être pas encore posées. Reconnaissons qu’il s’agit d’un gain de temps non négligeable !

Les auteurs, connaissent très bien le sujet et offrent une vision claire et équilibrée des enjeux du SG. L’intérêt et les avantages sont bien présentés mais les problèmes et les limites ne sont pas occultés

S’il y a une idée à en retenir c’est celle que le SG ne se limite pas aux jeux vidéos mais que les jeux y compris les plus simples, du moment qu’ils sont utilisés en contexte pédagogique avec des objectifs clairs et insérés dans une séquence respectant quelques procédures simples peuvent être de véritables vecteurs d’apprentissage en même temps que source de plaisir en classe.

Alors, si ce n’est déjà fait, pourquoi ne pas essayer ?

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