Un peu de théorie

Nous ne sommes en aucune manière des théoriciens du jeu.

En revanche, notre pratique du jeu en classe nous a amené à formuler quelques réflexions théoriques sur le jeu pédagogique dont nous vous livrons en exclusivité la substantifique moelle.

 

Petite typologie des jeux

 

Tout ludothécaire vous le dira : trouver comment ranger ses jeux logiquement sur ses étagères est un vrai défi.
Les meilleurs essayistes ludologues proposent d’ailleurs tous leur classification, la plus célèbre étant celle de Roger Caillois dans « Des jeux et des hommes ». Mais elles sont souvent trop abstraites ou trop techniques pour être opérationnelles.

C’est aussi souvent pourquoi le grand public, guère éclairé par les journalistes qui n’en savent pas beaucoup sur le sujet, confond allègrement jeu de rôles, jeu de simulation, jeu informatique, wargame, jeu de plateau et flipper.
Si l’on veut penser clairement l’univers du jeu, un minimum de classification s’impose, sinon la confusion règne et le débat intellectuel n’a plus aucun sens. C’est pourquoi nous vous proposons notre classification. Elle est évidemment imparfaite et vous trouverez sûrement un jeu qui n’entre pas dans une de nos catégories. Dans ce cas, il ne vous restera plus qu’à créer votre propre typologie !

Nous divisons nos jeux en quelques grandes familles.

 

Les jeux d’adresse : jeux de billes, marelle, jeux de tir ou de course sur ordinateur, quilles, fléchettes … Ils n’ont presque aucun intérêt en ce qui concerne l’enseignement de l’histoire-géographie-éducation civique, sauf si bien sûr vous voulez installer une quintaine dans votre cour de récréation. Les élèves ont pourtant un réel potentiel dans ce domaine (sarbacane-stylo, gomme volante …). Quel gâchis !

 

 

 

Les jeux symboliques sont les plus connus. Il est possible de les répartir entre jeux de cartes (tarot, belote, bridge…), jeux abstraits sur plateau (échecs, dames, go, reversi…) et jeux papier / crayon (bataille navale, morpion…). Ces jeux sont dits symboliques car leur matériel ne représente rien de particulier (ou il a été tellement stylisé qu’il n’est qu’une lointaine figuration de la réalité comme aux échecs). Leur matériel est même devenu une icône à part entière : tout le monde sait à quoi ressemble un as d’un jeu de cartes ou une tour d’un jeu d’échec. Bien que la plus ancienne, cette catégorie a peu de rapport avec nos préoccupations pédagogiques (ces jeux sont d’ailleurs enseignés pour eux-mêmes), même si des tentatives louables ont multiplié les initiatives de leur introduction à l’école comme pour les échecs ou le bridge.

 

Les jeux d’émulation, dont le principe est simple : il faut trouver LA solution à partir d’une situation fermée, plus rarement LES bonnes solutions. Il y a donc une émulation (compétition) pour soit trouver LA solution, ou bien être LE SEUL à trouver la solution ou encore être LE PREMIER à trouver la bonne solution.

Quelques exemples : les puzzles (un nombre de pièces défini, une seule solution possible), les jeux de questions-réponses comme « Question pour un Champion » ou le Trivial Pursuit (une question entraîne une seule réponse possible), les jeux de lettres comme les mots croisés (un seul mot possible par définition) ou le scrabble (quelques combinaisons de lettres sont possibles à partir du tirage, il faut trouver la meilleure), les jeux d’observation et de mémoire, comme le « mémory » et ses innombrables variantes (il faut se souvenir du bon emplacement) ou le jeu des « 7 erreurs » entre deux images quasi-identiques, les jeux de 7 familles et leurs variantes où il faut être le premier à reconstituer des familles définies, les jeux de l’oie, compétition sur un parcours fermé où il faut arriver le premier…

Ces jeux sont les plus facilement applicables à notre enseignement. Nous conseillons vivement à ceux tentés par l’aventure de commencer par ce domaine, facile à concevoir et à mener, aux résultats presque garantis. Dans le jeu d’émulation, le mécanisme du jeu n’a pas vraiment de valeur pédagogique (combien de points par réponse par exemple) : ce qui compte plutôt est que les élèves mémorisent les résultats du jeu (les réponses aux questions).
Néanmoins, le jeu d’émulation ne se limite pas du tout au modèle stéréotypé des jeux télévisés ou radiophoniques. Le jeu d’émulation, en effet, peut prendre des formes extrêmement variées qui mettent en oeuvre chez nos élèves des compétences très diverses. Ainsi, un jeu qui demande à des équipes d’élèves de classer le plus rapidement possible des documents variés dans des catégories prédéfinies est bel et bien un jeu d’émulation. Idem pour le puzzle de cartes géographiques. On est donc loin dans ces cas du cadre un peu limité du Trivial Pursuit. De la même manière, lorsque les élèves sont mis en situation d’avoir à formuler un maximum de questions sur, par exemple, un texte de manuel, il s’agit là aussi bien d’un jeu d’émulation.

Il convient donc de ne pas confondre jeu d’émulation et étalage de culture savante. A travers nos exemples, nous essayons de montrer que le jeu d’émulation est bien plus riche que l’image donnée par ses représentations télévisées. Ce sont en plus des jeux faciles à créer, même avec des élèves (pensez au jeu de l’oie, de 7 familles, de lettres …).

 

La catégorie des jeux de simulation est la plus riche car la plus complexe. Le dénominateur commun des jeux qui suivent est tout simplement de reproduire une situation problématique, que les joueurs font essayer de résoudre en en tirant le plus grand profit possible (ce qui déterminera l’éventuel gagnant). Le mécanisme reproduit est donc plus complexe … les règles du jeu aussi ! L’exemple le plus simple est celui du Monopoly : le jeu simule le marché immobilier sur une ville. Le but est de tirer le meilleur parti du hasard et d’une stratégie d’investissement pour être le plus riche à la fin. Il n’y a donc pas une seule solution pour gagner. 

Contrairement au jeu d’émulation :
– la situation de jeu est beaucoup plus ouverte (les joueurs ont un grand panel d’actions possibles)
– il n’y a pas UNE solution à trouver, mais PLUSIEURS solutions possibles.
– dans certains cas, il n’y a même pas de gagnant !
– le jeu de simulation se réfère à une certaine réalité

Pédagogiquement, le jeu de simulation permet autant d’acquérir des connaissances sur le résultat du jeu (qui a gagné ? Est-ce conforme à la réalité ?) que sur les mécanismes (comment gagner ? Comment la réalité était simulée ?).

Exemple : vous êtes un petit artisan du faubourg Saint-Antoine à l’été 1789. Vous aimez bien votre roi, mais vous estimez qu’il y a trop d’abus dans le royaume. On vient vous chercher le 14 juillet pour aller prendre la Bastille. Acceptez-vous ? Pourquoi ?

Le jeu de simulation est pédagogiquement plus riche, puisqu’il s’agit de recréer une situation historique ou géographique et de placer les élèves en situation d’acteurs et de décideurs. Les élèves vivent la situation « de l’intérieur ». Les mécanismes du jeu doivent permettre de simuler la réalité tout en laissant une réelle liberté aux élèves (sans quoi il n’y aurait plus de jeu : le jeu doit rester ludique et jouable), le tout dans un temps raisonnable. C’est en cela que le jeu de simulation est aussi plus complexe à créer et à mettre en œuvre.

La grande famille des jeux de simulation peut se diviser elle-même en plusieurs ensembles : certains jeux de plateau et jeux de cartes, les wargames et les jeux de rôles.

 

Les jeux de plateau : C’est incroyable, mais leur définition est qu’ils se jouent … sur un plateau ! Ce plateau représente un espace qu’il faut parcourir et / ou dominer. L’exemple le plus simple est le Monopoly : il faut parcourir un espace symbolisant les artères d’une grande métropole pour y placer des investissements immobiliers. Par commodité, on range aussi dans cette catégorie des jeux qui peuvent se passer de plateau, mais qui nécessitent un matériel équivalent (pions, monnaie fictive, marqueurs …). Les jeux de plateau sont souvent les plus riches, mais aussi les plus difficiles à concevoir (les règles doivent être fidèles et simples, le plateau et les pions sont longs à fabriquer). L’avantage est que les jeux du commerce sont très nombreux dans ce domaine et souvent de très bonne qualité, tant sur les règles que le matériel. Cette catégorie est celle qui offre le meilleur rendement pédagogique et souvent le meilleur équilibre jouabilité / réalisme.

 

Les jeux d’histoire ou « wargames »  : attention, faux-ami ! L’appellation « jeu d’histoire » ne désigne pas tous les jeux ayant un rapport avec l’histoire, mais seulement ceux qui reproduisent un conflit armé (une bataille, une escarmouche ou une guerre). Ces jeux sont appelés « wargames » en anglais et le terme de « jeu de guerre » sonnait mal aux oreilles des pratiquants qui voulaient donner une image politiquement correcte de leur passion. Les jeux d’histoire se jouent soit sur des plateaux avec des pions (les plateaux sont souvent alors découpées en hexagones), soit avec des figurines sur une belle table couverte de décors (les mouvements sont mesurés à la règle pour remplacer le quadrillage disparu). Evidemment, l’histoire regorge de conflits simulables. Mais ces jeux sont très gourmands en temps et le rendement pédagogique est faible (car les connaissances acquises sont assez limitées).

 

 

Les jeux sur ordinateur ou jeux vidéo sont devenus une catégorie à part entière. Le principal avantage de la machine est de pouvoir gérer un très grand nombre de paramètres et de ne pas encombrer le jeu avec la gestion des règles. Les progrès graphiques sont tels que les images proposées sont impressionnantes. Contrairement à un cliché trop répandu, ces jeux ne sont pas (tous) des pousse-au-crime et des incitations à la violence (routière, guerrière …). aujourd’hui, cette famille peut se scinder en jeux vidéo commerciaux (vendus pour le grand public et nécessitant d’être « détournés » pour être utilisés en classe : on parle alors de serious gaming) et serious games (jeux video ayant une finalité d’apprentissage ou de communication).

 

 

Les jeux de cartes de simulation n’ont plus rien à voir avec la belote. Leur principal avantage est que tout le matériel de jeu tient dans des cartes : il n’y a plus de plateau de jeu, de pions … Si vous connaissez le Mille Bornes, vous avez compris de quoi il retourne : il s’agit bien de simuler un déplacement en voiture, en évitant les obstacles et en freinant les autres, le tout rien qu’avec des cartes. Ce mode de fonctionnement est extrêmement souple, mais il nécessite là aussi des règles astucieuses et bien conçues. Ce type de jeu de cartes a été relancé par une double innovation. D’une part le phénomène « Magic » venu des Etats-Unis : le jeu simule un affrontement entre magiciens, à coups de sorts et de créatures. Le génie de ce jeu a été de faire tenir toutes les règles sur les cartes. On n’a besoin de rien d’autre ! Les concepteurs ont également poussé à l’achat constant de nouvelles cartes, plus rares mais plus puissantes. Aujourd’hui les cartes de ce jeu se comptent par centaines et sont côtées sur l’équivalent d’un « argus » ! Des dizaines de jeux ont imité Magic sur ce principe des jeux de cartes à collectionner. D’autre part, des jeux (venus d’Allemagne pour l’essentiel) ont imposé des mécanismes de jeux très novateurs, sur des sujets plus pacifiques et parfois farfelus. Ce sont de vraies mines d’idées.

 

Les jeux coopératifs sont une catégorie à part de jeux de plateau. Ils reposent sur un principe simple : il faut coopérer pour gagner (alors que la plupart des jeux reposent sur une compétition entre joueurs). Ces jeux sont nés dans les pays nordiques, en particulier en Allemagne où ils étaient très liés au mouvement pacifiste et non-violent, participant à un mouvement plus général de rejet des jeux de guerre et de conflit (alors que l’Allemagne est probablement l’inventeur du Kriegspiel – jeu de guerre). Aujourd’hui encore, la quasi-totalité des jeux coopératifs sont produits par des firmes allemandes comme Haba (pour les plus petits). Ces jeux ont un impact évident dans nos disciplines, en particulier en éducation civique qui vise non seulement l’intégration de connaissances mais aussi d’attitudes citoyennes. Ne tombons pas non plus dans l’angélisme extrême qui condamne tous les jeux qui reposent sur la compétition. L’histoire et la géographie regorgent de situations conflictuelles qui, si elles sont simulées, doivent être simulées comme des conflits. A notre humble avis, s’il y a un seul domaine où l’affrontement, le conflit, la rivalité et la compétition sont tolérables et même amusants, c’est bien dans le jeu !

 

Le jeu de rôles, ce mal-aimé. A l’occasion de campagnes de dénigrement médiatiques menées tambour battant par des animateurs télévisuels incapables et / ou malhonnêtes, il a été dit tout et n’importe quoi sur le jeu de rôles. Mais il est vrai que ces accusations infondées reposaient sur un réel problème : la difficulté à expliquer clairement, simplement et brièvement en quoi consiste ce type de jeux. Soit les joueurs restaient bouche bée face aux questions des journalistes, soit ils partaient dans des explications passionnées mais interminables et obscures.

Le jeu de rôles est tout simplement un jeu où chaque joueur incarne un personnage précis dans un scénario défini.

Prenons deux analogies pour le comprendre :
– cela ressemble à du théâtre car chaque joueur fait vivre son personnage en le faisant agir, parler, en lui donnant un caractère, en lui imaginant une apprence physique. Mais à la différence du théâtre, les acteurs-joueurs ne connaissent que le début de l’intrigue : à eux de découvrir la suite. Leur liberté est complète : ils peuvent faire faire ce qu’ils veulent à leur personnage. Le metteur en scène s’appelle un meneur de jeu : c’est lui qui présente l’intrigue aux acteurs-joueurs (et il est le seul à la connaître entièrement), c’est lui qui mesure l’effet de leurs décisions sur la suite de l’intrigue.
– si l’on prend l’exemple de la prise de la Bastille, pour un jeu d’émulation, le jeu consisterait à poser une question de type « Quand a été prise la Bastille ? ». Gagne celui qui trouve la bonne réponse. Dans un jeu de simulation comme un jeu de plateau, le joueur aurait à déplacer son pion ou ses pions sur un plan de Paris et les règles détermineraient s’il réussit à prendre la prison. Dans un jeu de simulation comme le jeu de rôles, on change d’échelle : chaque joueur incarne un personnage de l’époque (un duc, un mendiant, un soldat, un artisan … défini par des opinions, une apparence physique, un âge et tout ce qu’on jugera utile) et il explique en détail au meneur de jeu s’il se rend à la Bastille, ce qu’il y fait, avec qui, quand … Le meneur de jeu lui dira si ce qu’il entreprend réussit ou pas dans un dialogue continu. Le tout se passe autour d’une table, comme n’importe quel autre jeu.

Le jeu de rôles peut se passer de matériel car les interactions entre joueurs et avec le meneur de jeu peuvent se faire seulement à l’oral.

Si nous n’avons pas été assez clairs, téléchargez les documents suivants, tirés de l’excellente plaquette éditée par la revue Casus Belli sur le sitede la Fédération Française de Jeu de Rôles « Le jeu de rôles, qu’est-ce que c’est ?« .

Il est possible de distinguer plusieurs familles dans les jeux de rôles :

les jeux de rôles « fermés » sont ceux de la plupart du commerce. Ils se passent dans un univers défini (le Moyen Age, l’Egypte, le futur, les années 1920 …) avec un système de règles élaborées et souvent complexes. Le plus ancien d’entre eux et le plus célèbre est « Donjons et Dragons ». Ils sont souvent trop sophistiqués pour être joués tels quels en classe.

les jeux de rôles « ouverts » se passent presque de règles, sinon celles de la logique. « Vous êtes un maire à qui on propose la construction d’une salle de sport communale. Que faites-vous ? » et c’est parti …

les jeux de rôles programmés étaient très connus des adolescents dans les années 1990 sous la forme des « livres dont vous êtes le héros ». Ils permettent de jouer en solitaire. Il s’agit encore de définir un personnage à faire évoluer, mais toutes les actions se limitent à un choix déterminé de paragraphes, qui revoient à de nouvelles pages (si vous choisissez cela, allez page x, sinon allez page y). On est ici à la limite du jeu de rôles. La plupart des titres du commerce étaient ancrés dans le médiéval-fantastique, mais certains éditeurs ont développé des collections historiques ou en lien avec l’histoire (« Histoire » chez Galimard, « Histoires à jouer » chez Press Pocket, Solar…). C’est néanmoins redoutablement efficace et des exemples téléchargeables ont été créés lors des stages (sur Saint-Louis, la Guerre du Vietnam, Napoléon Ier, la révolution industrielle…).

– signalons pour mémoire les jeux de rôles grandeur-nature. Le principe est toujours le même, sauf que vous incarnez physiquement votre personnage : vous vous costumez et vous vous déplacez réellement dans le décor (un château, une forêt, une maison …). Les thèmes les plus prisés sont le médiéval (plus ou moins fantastique) et l’enquête policière de style Agatha Christie (les « murder parties »). A notre connaissance, il n’y a eu qu’une tentative d’adaptation au domaine pédagogique avec des élèves (sur la Révolution française) mais elle est ancienne. Cela suppose un gros projet et nous n’avons pas sauté le pas …

 

Simulation divergente et simulation convergente

 

Lorsqu’un jeu de simulation a pour but de reproduire aussi fidèlement que possible la réalité elle est dite convergente. Il vise dans ce cas à reproduire le même résultat final que dans la réalité. C’est le cas du jeu de la navette parlementaire.

Lorsqu’au contraire le jeu permet d’autres issues que les issues historiquement établies (ou bien des situations géographiques inédites), il est dite divergente. C’est le cas de la plupart des jeux de plateau, comme Diplomacy ou du jeu 480 av. J.C.. Dans le cas d’une simulation divergente, ce qui compte c’est la compréhension des mécanismes plus que l’acquisition de connaissances (puisqu’il ne faut pas demander aux élèves de mémoriser le résultat du jeu). Néanmoins, il apparaît souvent dans la pratique que les élèves confrontés à un problème historique ou géographique vont vouloir savoir, après le jeu, comment les choses se sont effectivement passées. Et là, on revient dans le domaine de la connaissance historique ou géographique.
De nombreux collègues ont du mal à accepter que le jeu puisse aboutir à une situation non conforme à la réalité. C’est sans importance, du moment que l’enseignant fasse comparer le résultat du jeu à la réalité. Et c’est là un réel travail pédagogique !

 

L’équilibre jouabilité/réalisme

 

Le jeu pédagogique doit être ludique sans tomber dans le simplisme. C’est ce que nous appelons l’équilibre jouabilité / réalisme. Trop de réalisme tue la jouabilité et le jeu devient très complexe (imaginez que l’on ajoute au Monopoly les lois de l’offre et de la demande, la conjoncture économique générale, l’effet des lois sur l’immobilier, les actions de Droit Au Logement !). C’est souvent le cas de la plupart des jeux du commerce. Un jeu très réaliste est donc souvent peu jouable.

A l’inverse, une trop grande jouabilité éloigne la simulation de la réalité. Ainsi le Monopoly est-il très jouable mais assez peu réaliste si l’on souhaite simuler les mécanismes réels du marché de l’immobilier. Un jeu très jouable est donc souvent peu réaliste.

Alors, mission impossible ?

Non, car des jeux du commerce à la fois très jouables et très réalistes existent, comme Diplomacy. Il sont néanmoins assez rares.

C’est là qu’intervient l’imagination de l’enseignant. Il convient donc de trouver, lorsque l’on veut créer un jeu pédagogique, le meilleur compromis entre le réalisme (il ne s’agit pas de réécrire l’histoire mais de la comprendre) et la jouabilité (il serait assez contre-productif de passer plus de temps à expliquer les règles qu’à jouer). Il faut donc inventer des mécanismes de règles à la fois jouables et réalistes. C’est pour cela que la plupart des jeux que nous proposons sur ce site sont des adapations de jeux existants : nous reprenons le thème d’un jeu du commerce (voire son matériel) et nous adaptons le mécanisme de jeu le plus efficace, parfois pris dans un autre jeu.

 

Le rendement pédagogique

 

Est-il utile de jouer pour faire comprendre telle ou telle notion, pour faire « passer » telle ou telle connaissance ? Le jeu sera-t-il plus efficace qu’une autre méthode moins coûteuse en temps ? C’est la question que tout professeur d’histoire-géographie sensé (et nous avons la prétention d’en être !) doit se poser. En effet, si le jeu ne sert à rien d’autre qu’à amuser les élèves, il vaut mieux l’éviter. Si, en outre une étude de documents, ou bien le visionnage d’un reportage télévisé ou une sortie permettent d’atteindre plus facilement l’objectif, alors il vaut mieux ne pas jouer.

Si au contraire, le jeu permet de faire comprendre au plus grand nombre des notions obscures ou arides, s’il amène les élèves à travailler davantage et à se poser davantage de questions qu’une autre méthode alors, il faut l’utiliser.

C’est là tout l’intérêt de la notion de rendement pédagogique. Le jeu n’est pas une pierre philosophale, il est un moyen pédagogique parmi d’autres. Il a ses vertus et ses défauts. Il est nécessaire de les identifier avant de l’utiliser.

Cette notion permet aussi d’insister sur un point essentiel : on ne fait pas pas cours PUIS on joue (si on a le temps). On joue A LA PLACE d’un cours plus classique car on estime que le jeu est la meilleure situation d’apprentissage à un moment donné avec une classe donnée.

 

L’éthique ludique

 

Il s’agit de rappeler une évidence : toute situation historique et géographique n’est pas a priori simulable, pour des raisons éthiques.

Chacun peut placer sa limite où il le souhaite; ainsi, certains collègues se refusent à simuler toute situation de guerre.
Mais même si ces choix relèvent de la morale personnelle, il est des faits QU’IL NE FAUT EN AUCUN CAS CHERCHER A FAIRE JOUER.

Nous pensons en particulier à la Shoah. Cela peut paraître une évidence, mais le piège est réel. Un jeu radiophonique fort célèbre a posé une question un jour aux candidats sur le nombre de victimes du génocide nazi. Malaise profond quand l’animateur a déclaré que la réponse fournie par le candidat « n’était pas assez »… Et s’il avait gagné, l’animateur aurait crié « bravo » en applaudissant ? Même des professionnels se font avoir.

Il est des pièges plus pernicieux. Pourquoi ne pas simuler l’expansion coloniale aux 16°s-17°s ? C’est a priori une bonne idée. On se rend compte vite en réfléchissant aux mécanismes du jeu qu’il faudra que les élèves achètent et vendent … des esclaves.

C’est pourquoi il faut réfléchir non seulement aux mécanismes de jeu mais aussi (pour ne pas dire surtout) à l’impact moral que le jeu peut avoir sur des élèves transformés en acteurs d’un passé ou d’un présent pas toujours tolérable.

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