Pratiquer un jeu en classe peut être un moment particulièrement fort. pour les élèves comme pour leur professeur.e.
Je profite de ce beau témoignage pour tenter de mettre en avant les aspects positifs du jeu pédagogique en matière de satisfaction professionnelle et de climat de classe. Ce sont des éléments qui sont peu pris en compte – à ma connaissance – par les travaux de recherche en la matière. Il me semble que les recherches portent souvent sur la question de l’efficacité du jeu dans les apprentissages au sens strict du terme. On recherche en fait ce qui est le plus facilement observable et mesurable. Et cette recherche semble plutôt montrer que le jeu pédagogique ne permet pas, globalement, de mieux apprendre que d’autres méthodes. Mon approche empirique, basée sur une expérience de 30 ans de jeux pédagogiques dans les classes, m’inciterait assez au même type de conclusion.
Mais les bénéfices du jeu pédagogique sont-ils vraiment à chercher de ce côté-là ? J’ai tendance à penser que l’essentiel ne se joue pas dans des acquisitions immédiates de connaissances bien identifiées, mais dans l’établissement d’une relation entre les élèves d’une part et entre les élèves et l’enseignant d’autre part. Il s’agit aussi de favoriser un climat de classe qui favorisent l’engagement scolaire sur le long terme et pour beaucoup plus d’élèves que certaines autres méthodes. C’est évidemment beaucoup plus difficile à mesurer et nécessite des observations sur le long terme ce qui n’est pas toujours compatible avec le temps – et les crédits – de la recherche.
Mais si c’était là que résidait le coeur de la question ? Si le jeu pédagogique était d’abord un outil d’inclusion scolaire ? Et s’il était également un booster de satisfaction professionnelle et donc de motivation pour l’enseignant ?
L’occasion d’aborder le sujet m’est offerte sur un plateau par cette évocation très stimulante d’une séance de jeu élaborée et menée par Léa DUPRAT, professeure au collège Etenclin de la Haye du Puits [pour ceux qui ne connaîtraient pas encore la région (c’est impardonnable !) – c’est par ici ! ]
La séquence est organisée autour d’un jeu d’évasion sur la Renaissance élaboré par l’enseignante.
Aujourd’hui les principes généraux des escape games sont relativement bien connus et on ne détaillera pas ici les mécanismes du jeu (les documents de travail sont téléchargeables en fin d’article).
Mais avec ce compte rendu détaillé et très vivant ce sont plutôt les réactions de l’enseignante et de ses élèves qui sont passionnantes à découvrir. On est plongé d’emblée au coeur de ce qui fait l’intérêt du jeu pédagogique : l’engagement, la motivation, la joie de vivre, la sociabilisation dans le plaisir d’être et d’apprendre ensemble.
L’utilisation du jeu en classe procède d’abord d’une volonté, d’une décision de l’enseignant.e et d’un travail de préparation souvent important, voire très important. C’est pour lui ou elle souvent un moment aussi fort que pour les élèves. L’enjeu est non négligeable et la réussite ou pas des premières (voire de la première) séances de jeu pédagogique peut fortement influer sur la poursuite ou pas de l’intégration de temps de jeu dans son enseignement. Voici ce qu’en dit Léa :
« J’étais stressée lors de la préparation de la salle, j’avais peur d’oublier quelque chose dans la mise en scène, sans compter le protocole covid, il ne faut rien oublier et je n’ai pas ma salle. J’y ai passé tellement d’heure, j’avais peur que ça ne fonctionne pas. Et… …
Comment mieux dire la tension qui précède la séance, révélatrice de l’ampleur de l’investissement de l’enseignante dans la préparation de sa séquence et des attentes qui sont les siennes ?
j’avais peur que ça ne fonctionne pas. Et…
… Les élèves ont adoré. C’était génial. J’étais trop contente de les voir jouer comme ça. C’est formidable d’être observatrice. «
Quel soulagement, enfin, lorsque l’on comprend que c’est gagné, que les élèves ont investi l’activité et en tirent des bénéfices importants dans des domaines très variés. Quel plaisir également de changer de posture et d’observer ses élèves qui cherchent à résoudre les énigmes qui leur sont proposées. Ce n’est pas si souvent que nous nous mettons en retrait, que nous cessons d’occuper le centre du jeu (sans jeu de mots bien sûr…). Les séances de jeu pédagogique peuvent être un bon moment pour cela. Pas toujours cependant : l’enseignant peut parfois être très investi dans le jeu, au moins dans son animation. C’est moins souvent le cas dans les jeux d’évasions pour lesquels, en principe, c’est précisément l’autonomie des équipes qui est le moteur du jeu.
Parmi les points positifs, l’enseignante note en particulier…
Le bonheur de les voir tous investis, motivés et heureux de l’heure passée.
Faire jouer ses élèves est donc (quand ça marche !) un bon moyen pour éprouver du plaisir à enseigner. Il faut avouer que c’est quand même plus plaisant que de corriger le DNB ou le bac ! Dans notre métier, les moments déplaisants, ennuyeux ou difficiles existent aussi. Emmagasiner du plaisir à enseigner chaque fois que possible permet de relativiser les moments difficiles lorsqu’ils surviennent. C’est aussi au travers de ce type d’expériences positives que la motivation professionnelle peut se maintenir sur la durée. Bien sûr, il est possible de trouver de la satisfaction professionnelle dans de multiples autres situations. L’essentiel est qu’elle soit au rendez-vous.
Et du côté des élèves ?
D’abord, comme pour l’enseignante, ils témoignent du plaisir d’avoir participé à un moment exceptionnel qui laisse des traces dans la durée. Ecoutons-les…
» madame, on a adoré, depuis on ne se quitte plus, on mange ensemble au self, on est ensemble à la récré, pourtant on est ensemble depuis septembre, mais c’est comme si on se connaissait que depuis le jeu ».
Ines (5ème)
Des surprises également, des changements de postures, des révélations. ainsi…
Les groupes qui ont le mieux fonctionné sont des élèves en difficulté, voire très grande difficulté. Je ne les ai pas reconnu, ils prenaient des initiatives, lisaient les textes à haute voix, décrivaient avec précision ce qu’ils voyaient, percutaient pour associer deux énigmes. Avant toute décision, ils se concertaient, personne n’était à l’écart.
A l’inverse, les élèves les plus performants dans le fonctionnement habituel de la classe ne sont pas forcément à l’aise ou tout au moins leur présence peut inhiber les autres et leur conférer une aura d’experts qui empêche les autres de progresser.
Le groupe qui a le moins bien fonctionné à mon goût (les élèves sont ravis quand même) c’est celui où il y a deux excellentes élèves, tout le monde cherchait, mais personne ne prenait d’initiative, ce sont ces deux élèves qui ont réalisé tous les codes stratégiques.
Penser la constitution des groupes, orienter l’exploitation pédagogique du jeu sur les aspects métacognitifs, faire réfléchir les élèves sur leurs stratégies de jeu, de coopération, de résolution de problème, est un bon moyen, ensuite, de mettre en évidence les pratiques gagnantes et celles qui sont moins porteuses de progrès.
Il ne restera plus qu’à…. organiser une autre séance de jeu afin de mettre les élèves en situation d’expérimenter d’autres méthodes de travail !
Ce qui ressort du témoignage de Léa, en tous cas, c’est que les élèves ont progressé en matière de coopération, de mutualisation, de cohésion de groupe. Ce sont des ingrédients essentiels à la création (et au maintien) d’un bon climat de classe. Et on n’insistera jamais assez sur le fait qu’un climat de classe positif, serein, coopératif… est primordial pour favoriser l’investissement, la motivation et l’engagement dans le travail et l’inclusion des élèves les moins à l’aise.
Mais les élèves apprennent également, en jouant, des connaissances disciplinaires qu’ils s’approprient différemment que dans des activités plus classiques, mais tout aussi solidement.
Parmi les aspects positifs j’ai noté le fonctionnement de la mémoire de travail : à force de manipuler les mêmes mots de vocabulaire, ils ressortent en ayant retenu le mots clés de la leçon.
Ici c’est l’effet d’imprégnation qui est mis en avant. Mais le jeu pédagogique peut également favoriser l’apprentissage direct lorsque cet apprentissage est le moteur ou le but du jeu. L’essentiel reste bien, comme dans toute séquence pédagogique, d’en définir le plus précisément possible les objectifs et d’adapter les activités des élèves à la poursuite desdits objectifs.
Finalement, le point le plus positif, c’est que Léa est prête à recommencer
– la structure de l’enquête : je vais essayer l’année prochaine de refaire un escape game pour les 6e, et si je garde le cadre global, en changeant les problématiques et les documents, ca devrait me prendre moins de temps !
Cette expérience, qu’elle peut capitaliser en effet, rendra plus aisée les suivantes. C’est l’un des éléments essentiels à garder en tête. Créer un jeu prend toujours du temps. Mais l’expérience accumulée permet de réaliser de très substantielles économies en la matière. Bon… j’avoue, le problème est que bien souvent le temps gagné dans la routinisation d’un certain nombre de procédures est réinvesti immédiatement dans la création de jeux plus complexes, de matériel plus abouti, de jeux plus nombreux… Mais la satisfaction, de l’enseignant comme des élèves, en est la récompense. Ici aussi, le jeu en vaut la chandelle !
Contact : lea.duprat@ac-normandie.fr