À bout de solutions

Tu voulais t’en aller.

Tu l’avais décidé seule.

Depuis longtemps déjà.

Tu ferais tout pour ça.

Tu ne tiendrais pas une année de plus.

Tu n’en pouvais plus, tu allais exploser.

conseil-de-discipline

Tu ne savais pas ce qui te mettait le plus en colère : les rires moqueurs dans ton dos, la condescendance doucereuse des plus grands, la crainte des plus jeunes, ou ceux qui essayaient de te faire croire qu’ils pouvaient t’aider, que ça allait changer.

Les adultes sans doute, étaient les pires : à vouloir te parler, t’encourager, « trouver des solutions » être trop indulgents avec toi, juste pour que tu restes assise une heure en classe. Les autres ruminaient : « injustice, injustice.. » quand tu n’avais pas pris la leçon, pas fait tes devoirs et qu’on se contentait d’apprécier que tu sois là, en classe. Que tu essaies.

Tu testais alors les limites. Jusqu’où pouvais-tu aller sans que la sanction ne tombe ? Et quand elle tombait, inévitable, quand même, alors tu pouvais donner libre cours à ta furie. Trahie, encore, toujours, par tous. La preuve …

Tes camarades avaient déjà compris eux. Ils s’écartaient à ton passage. Craignaient tes gestes. Jaugeaient ton humeur le matin pour savoir quelle serait l’ambiance du jour.

Ceux avec qui tu prenais le bus, tu les avais bien prévenus : tu les tuerais, et père et mère avec, au moindre regard de travers … ne parlons pas des mots.

Tous faux, tous menteurs, tous trop bêtes, trop loin pour comprendre cette rage qui te dévorait de l’intérieur.

Parfois tu t’échappais loin de toi, euphorique et hilare, tu bondissais, promettais des jours meilleurs, de ne plus, non, plus jamais…

Ça ne durait pas assez longtemps. Ce chacal affamé qui te bouffait les entrailles se réveillait toujours plus violemment.

Alors ça tombait. Sur n’importe qui et n’importe quoi pourvu que le geste porte, claque, abîme, frappe, écrase. Ta tête explosait en mille morceaux. Tu ne voyais que du feu, n’entendais plus que ton propre cœur qui s’était mis à battre dans tes tempes. Ton sang bouillonnait, tes poumons se vidaient en un cri silencieux et c’est lorsque tu suffoquais qu’on arrivait enfin à te maîtriser, bras, jambes, poupée désarticulée agonisante et pantelante.

Tu reconnaissais après. Ta faute.

Nulle en tout ?

De toute façon, tu es tellement nulle. En tout. Avec tout le monde. Tu en es tellement convaincue. On se moque de toi quand on évoque ton intelligence. Tu n’as jamais été intelligente. Tu es la plus bête, la plus moche, la plus nulle, et qu’on te laisse tranquille avec ça. Ne peuvent-ils pas simplement te foutre la paix ? Il n’y a rien de bon à tirer de toi. Tu ne veux surtout que rien de bon ne sorte de toi. Tu ne saurais pas quoi en faire, alors. Si tu pouvais exploser là sur place, ou t’arracher de toi même, tu le ferais. Ne plus voir, entendre, sentir à quel point tu n’es pas à ta place, pas comme il faut, pas comme il faudrait.

Tu es consciente de cette rage permanente dont tu es l’esclave, mais tu es trop jeune pour prendre de la distance, comprendre d’où elle vient, et même tenter de l’expliquer.

Personne ici n’est suffisamment armé pour t’accompagner dans ce combat contre toi même que tu mènes et les dégâts « collatéraux » de plus en plus graves que cause cette lutte ne sont plus excusables ou pardonnables.

Alors tu as commis quelque chose de vraiment irréparable. Un seul objectif. Quitter cette école qui t’étouffe par trop de bienveillance maladroite et de sanctions inefficaces. Tu ne sais pas où tu vas. Tu te fuis toi même.

Jusqu’au bout.

Tu n’iras pas au conseil de discipline. Tu n’as plus rien à leur dire. Tu as perdu ? Tu as gagné ? Tu es ailleurs, déjà.

Et nous, désarmés ici, conscients de nos limites et impuissants, un peu soulagés aussi, pour les autres qui ont supportés et n’ont pas mérités d’en subir autant, nous ne pouvons qu’espérer que la vie se montre plus accueillante pour toi. Que tu te trouves malgré tout. Que ta colère s’apaise. Que tu ne fasses plus de mal, ni aux autres, ni à toi même. Que tu te construises enfin.

Une chronique de Fanny

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