Voilà. On touche au but.

Après deux mois de confinement, situation inédite mettant l’individu en face de lui-même, il fallait faire un bilan, à la fois humain, mais aussi pédagogique… mouais. C’est surtout que SI au bout de quelques semaines en classe, on doit ENCORE se faire reconfiner (tiens, ça peut devenir une insulte à la mode chez nos apprenants… VA TE FAIRE CONFINER, GROS !), votre serviteur n’aura ni la force ni la patience de faire un bilan, et il s’en ira sur le canapé en quête de ses plus bas instincts, comprendre ici en quête de sa télécommande.

Listons donc ensemble ce qu’aura changé ce qu’on appelle déjà «  Le grand Confinement » (pour les futures prods américaines, faudra changer ça, ça ne le fait pas un brin).

Le prof face aux jeunes… chez lui

Oui quand ce vendredi-là, j’ai dit aux élèves qu’on allait rentrer chez nous et ne pas nous voir quelques temps. Honnêtement je pense qu’eux comme moi, on était en joie. Chouette, des vacances créées à la va vite, qu’on pourrait appeler vacances « pangolesques », mélange de pangolin et de rocambolesque.

Ça a duré peut-être deux-trois jours. Et on a reçu le suivi pédagogique en pleine face. Le suivi pédagogique. Ç’a été notre deuxième pandémie à nous le domaine scolaire. On l’a reçu de plein fouet, on ne parlait plus que de ça à la télé, j’avais l’impression d’être désormais sous les feux des projecteurs quand j’allais faire ma séance sur la laïcité en France. Les élèves m’attendaient. Les parents d’élèves m’attendaient. L’Institution m’attendait. BFM m’attendait.

Il a donc fallu assurer. Mais en bon enseignant, j’allais revêtir mon habit de lumière de télé-enseignant, sorte de téléshopping, mais beaucoup, beaucoup moins regardé et vendeur. Et j’allais utiliser mon arsenal technologique : Smartphone, applis de discussions groupées, ordi, visios, tutos, textos. Boulot. Boulot. Plus dodo. Les premières semaines je devenais une sorte de borne interactive proposant des devoirs, des corrections, des exercices. Je recevais des devoirs à 3 h du matin, des questions à 6 h du matin. J’avais brusquement l’impression de faire cours à des vampires, sortes de Van Helsing apprenant, je renouais contact avec des jeunes que je pensais disparus ( « Mais Sandro t’avais pas quitté l’académie toi ? »), je me retrouvais face à des rendus ubuesques, de la photo de la copie prise par smartphone, avec la salade mayo ketchup et l’orteil gauche manucuré pris en arrière-plan, au devoir niveau fac rendu au bout de quelques heures par mon élève qui d’habitude écrivait à peine la fin de son prénom par flemme. Aide extérieure ? Climat familial bienveillant ? Température plus adéquate ? Comment savoir ?

Je notais je rendais je discutais je créais du lien avec les jeunes qui au bout de quelques jours me priaient de revenir en classe. Comme si j’étais capable d’enrayer une pandémie mondiale en claquant les doigts. J’avais déjà du mal à aller sur Discord. Je devenais une sorte d’être hybride, entre stakhanoviste de l’exercice noté et Grand frère de la déprime, dispensant ses conseils (« Fais comme moi, Sandro, quand t’en as marre, hurle dans un oreiller »… Ah j’ai dû en abîmer des oreillers en deux mois).

Bref j’étais en suivi pédagogique.

Bon, et puis après le ministre a parlé du contrôle continu, de la non-évaluation des élèves durant le confinement. Et ç’a été ma troisième pandémie. J’ai perdu 80 % des élèves, ne restaient que ceux qui n’avaient ni télé, ni réseaux sociaux, ni amis. Et ceux qui vraiment s’emmerdaient chez eux. Alors ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii bien entendu, les esprits les plus forts me diront que la note, c’est comme les antibiotiques, c’est pas automatique. Qu’il faut être flexinotarien. Oui mais alors en Lycée pro, dans certaines classes, on en est encore aux bêta lactamines et à l’assiette carnivore. J’essayais donc de procéder différemment et de m’éloigner des programmes officiels, qui disons-le ne sont pas les parangons du glamour, pour flirter davantage avec le ludique, avec l’esprit du moment.

« Paye ton confinement ! »

Le prof face à lui-même… chez lui

Même constat qu’au préalable. Ce confinement a transformé les êtres que nous étions. Forcément. Dans le sens négatif tout d’abord. Nos instincts les plus primaires ont ressurgi, façon Mister Hyde (enfin chez moi plutôt Mister Zarp), très rapidement, que ce soit le jet de gomme et de stylos sur les joggeurs passant devant chez nous, comme s’ils incarnaient ce monde du passé qui s’effilochait devant nous. Effiloché parlons-en. Effiloché, pizzas, gaufres, pâtes, paella. Tout allait y passer. Si le budget loisirs avoisinait le zéro, celui de la bouffe avait pris la confiance. Je mangeais comme 12, sans aucun complexe, et à mesure que mes cheveux poussaient de façon disparate, je me rendais compte que j’allais vers une rupture temporaire, un « break » non salvateur entre ma garde-robe et moi-même. Le survet était devenu mon ami. Sauf pour mes sorties à Lidl où je me mettais frais. Triste époque.

Il en était de même pour les rapports humains. Je mettais rapidement les gens dans deux catégories : ceux qui avaient un barbecue et les autres. Je faisais passer les premiers dans les spams, ne supportant plus les stories insta où je les voyais, saucisse au bec, nous déclarer que le confinement, c’était de l’eau. J’aurais bien ajouté de la javel dans la leur. Idem pour certains collègues, qui avaient décidé lors de ce confinement de montrer à tout le monde, PREUVES À L’APPUI, qu’ils étaient les meilleurs dans la pédagogie à distance. Je ne connais plus très bien la métaphore sur la tartine et le beurre qu’on étale, mais là j’en avais plein… les mains de leurs tutos pour les classes virtuelles.

Face à cela l’enseignant, comme les autres, se terrait sur Netflix ou classait ses cuillères par ordre alphabétique. J’aurais pu lire tout Ronsard. J’avais choisi l’intégrale de Walking dead.

Il y avait du positif aussi

L’envie d’y retourner, d’en découdre avec le plus retors, avec celui ou celle qui trouvait toujours que la séance était bof, le texte pas top, l’image pas assez nette on voit pas les couleurs (« c’est une photo en noir et blanc… Sandro »). Alors bien entendu, quand j’écris cette chronique, je ne peux cacher les 120 523 publications des réseaux qui, légèrement anxiogènes, parlent de notre future disparition, de la contamination de nos proches, de l’ignominie de la reprise. Je ferme les yeux. Je souffle.

Et je suis au-delà. Septembre/Octobre. Je fais l’appel. Ils sont là. Pas tous souriants. Pas tous là d’ailleurs. Mais on bosse ensemble. Et on est bien.

Et je ne porte pas qu’un slip.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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