Le réveil
La pleine lune est déjà haute dans le ciel, elle éclaire la ville d’une lumière irréelle.
Assis à ma fenêtre, je sens sourdre en moi un sentiment étrangement familier.
Je ne me souviens plus comment cela a commencé mais c’est maintenant la sixième lunaison depuis le solstice d’hiver et, comme d’habitude, j’avais jusque-là réussi à la contenir.
Elle était restée là, tapie dans les recoins sombres de ma conscience, mais aujourd’hui elle est sortie de sa tanière.
La voilà qui me gagne petit à petit, chaque jour plus forte, chaque jour plus présente : oui ! La bête s’est réveillée !
Tremblez, jeunes candidats, car vos jours sont comptés.
Le rouge va bientôt couler, maculant les pages de vos dissertations.
Déjà, au bout de mes doigts, poussent des griffes grilles acérées : celles des évaluations par compétences.
Une irrépressible envie m’envahit : il me faut à tout prix valider. Valider les acquis, les savoir-être, les savoir-faire, et traquer sans relâche et sans pitié aucune les méthodes en cours d’acquisition.
Oui, je perds tout contrôle, il me faut ma dose de cases à cocher, de notes à donner, à reporter, à remonter. Les statistiques, les moyennes… Tout tourne dans ma tête en une danse effrénée.
L’intarissable soif d’évaluer
Et la frénésie me reprend à chaque récré où, en salle des profs, compulsivement, je recherche dans mon casier, la feuille, le papier dont l’en-tête m’apportera un nouveau frisson : « convocation ».
Chaque découverte satisfait ma soif d’évaluateur :
-jury d’oral : pour respirer la sueur, ressentir le stress de l’infortuné candidat,
-jury d’écrit : pour me délecter des maladresses d’expression et des connaissances mal maîtrisées,
-surveillance de salle, de couloir : pour donner libre cours à mes instincts de cerbère.
La lune est haute dans le ciel et, je le sais maintenant, me voilà redevenu « l’évaluateur» !!!
Et vous, la vivrez-vous aussi cette métamorphose ou, chanceux, réussirez-vous à y échapper ?