Apprendre à s’auto-féliciter

L’autre jour, lors d’une formation sur le développement des compétences psychosociales, j’ai expérimenté la situation suivante : par groupe de 3 (avec des personnes que je ne connaissais que depuis le matin), nous devions individuellement réfléchir à quelque chose que nous avions fait et dont nous étions fières. Puis, il fallait raconter la situation aux deux autres personnes, qui devaient nous attribuer les qualités dont nous avions fait preuve dans cette situation.

bienveillance-parole

Franchement ? Pas facile comme exercice. Et ce, principalement pour trois raisons.

 

Tout d’abord, il m’a fallu trouver quelque chose dont j’étais fière. Or, au quotidien, on s’empêche d’être fier par peur de se montrer orgueilleux. Ou prétentieux.

Pourtant, fierté et orgueil, même si ces deux termes sont proches, ont une différence notable. La fierté est vécue face à soi-même tandis que l’orgueil est vécu comme une mise en concurrence avec une ou plusieurs autres personnes.

La fierté serait : « J’ai été capable de faire ça et j’en suis contente. »

L’orgueil serait : « J’ai fait ça mieux que ne l’aurait fait untel. »

 

Toujours est-il que la majorité des gens ne se permettent pas souvent de s’auto-féliciter, d’être fier d’eux-mêmes. Encore moins en public. Encore moins devant des inconnus.

 

De là découle la deuxième difficulté : le partage d’un pan de ma vie avec des gens que je ne connaissais pas. S’ouvrir aux autres sur quelque chose de personnel, ce n’est pas simple.

 

Enfin, recevoir des qualités est un exercice auquel on est peu habitué. C’est gênant. À la rigueur en recevoir deux ou trois. Mais après, ça met mal à l’aise. On a envie de dire aux autres d’arrêter.

Ne pas baisser les bras

Temps de préparation de l’exercice : 5 minutes.

C’est à mon tour, je me lance.

 

Septembre 2015, c’est ma troisième rentrée, et après deux ans en maternelle, je suis envoyée en SEGPA. Quartier difficile, je passe des petites sections aux troisièmes. Pardonnez-moi l’expression mais franchement « j’en ch*e ». Je m’accroche, épaulée par des collègues assez formidables, je tiens le coup, ça finit même par me plaire, et je décide de m’inscrire à la formation préparatoire au CAPA-SH, diplôme supplémentaire à avoir pour avoir un poste définitif dans l’enseignement spécialisé.

Je passe un entretien devant un jury composé d’une inspectrice et de deux conseillers pédagogiques. Verdict : « Non retenue pour partir en formation ».

Au téléphone, voilà les raisons que l’inspectrice me donne : « Vous vous êtes trop appuyée sur votre pratique de classe, sur votre expérience, vous n’avez pas assez montré que le bon pour la formation n’était pas uniquement pour enseigner en SEGPA. Vous auriez dû dire tout ce que l’on pouvait faire avec ce diplôme, comme enseigner en milieu carcéral par exemple ».

Ah oui tiens. C’est vrai que quand on m’a dit au début de l’entretien : « Présentez-vous », j’aurais dû ajouter à la fin : « Bonjour, je m’appelle Chloé, je veux faire cette formation pour continuer à enseigner en SEGPA, mais je sais aussi qu’on peut enseigner en prison avec ce diplôme ! » Très naturel. Dommage qu’elle ne m’ait pas soufflé le script avant. (Blague à part, l’année suivante pour assurer mes arrières j’ai redemandé le départ en formation, et la même inspectrice au téléphone m’a dit, de but en blanc : « Dites ça et ça et vous serez prise ». Ça laisse rêveur.)

Le mois de mai arrive. Comme je n’ai pas le diplôme, je suis à titre provisoire sur mon poste. Je le redemande pour la rentrée suivante.

Sauf que… Une personne qui part en formation a demandé ce poste. Et elle est donc prioritaire, puisqu’elle, elle part en formation.

Finalement : après une année à en avoir pris plein la tête quand même, à avoir commencé à créer du lien avec mes élèves adolescents, je dois laisser ma place : « T’es bien gentille ma petite mère, tu nous as bien servi pendant un an, mais là, désolé, on a quelqu’un d’autre alors tchao ! »

Sauf que là, quand même j’ai les boules. Parce que leur raison de recalage elle est bidon. Parce que quand l’autre inspecteur (beaucoup plus humain celui-là) vient m’inspecter au mois de juin en classe et dit : « Je ne comprends pas pourquoi on ne vous a pas envoyée en formation », j’ai envie de crier à l’injustice.

Mais au moins, ça m’a donné la niaque. L’envie de leur montrer que je n’ai pas besoin d’eux.

Alors je demande un poste à 50 kilomètres de chez moi dans une autre SEGPA pour pouvoir passer ce fichu diplôme en candidate libre. Je fais 100 kilomètres par jour. Sur les week-ends, sur les vacances, je me documente. Je fouine sur Internet, j’échange avec d’autres collègues, je rédige mon mémoire. Je me dépatouille comme je peux.

Le jour de l’examen arrive. Dans le jury de quatre personnes, je retrouve les deux inspecteurs. Celle que je n’ai jamais sentie et l’autre, beaucoup plus bienveillant. Elle ne me déçoit pas, elle est égale à elle-même. Cassante et froide. Heureusement que le reste du jury ne la suit pas dans sa négativité.

Le 28 juin, c’est le jour des résultats. Dans le tableau, je cherche mon nom. Et là, je le vois. Je suis admise. ADMISE ! Je l’ai ! JE L’AIIIII !!!!!

 

Alors voilà, c’est peut-être ça la chose dont je suis la plus fière. D’avoir réussi à l’avoir ce diplôme, et en candidate libre. D’avoir accepté de vivre cette année difficile. Et de ne pas avoir baissé les bras.

 

« La bienveillance des enseignants envers les élèves doit être au cœur du métier. »

Mais l’Éducation nationale, elle, elle n’est pas vraiment bienveillante avec son personnel.

 

Une chronique de Chloé

3 réponses

  1. Bravo! Et effectivement, comme je le dis souvent à mes élèves, à ma fille: Tu peux être fière de toi.

    Même lorsqu’ils réussissent même des choses qui ne paraissent pas « énormes » aux yeux des autres, je les encourage, je les félicite mais surtout le plus important je les encourage à reconnaitre leurs réussites, à en être fiers.

    Je comprends tout à fait à quel point cet exercice a dû être dur. Personnellement, je vais me lancer dans le Cafipemf l’an prochain, avec ou sans aide, je donnerai tout ce que je peux dedans. Je me l’interdisais jusque là, je me suis longtemps dit que je n’étais pas capable etc. Mais depuis un an maintenant j’ose davantage m’affirmer sur ce plan et c’est aussi parce que j’ai appris à être contente de moi même pour les petites choses de la vie quotidienne. Aimez-vous et le monde vous le rendra. 🙂

  2. Bravo et merci pour cet appel à la bienveillance dans l’Éducation Nationale et pas que dans les bureaux des rectorats ou du ministère (fausse bienveillance souvent celle-là vis à vis des enseignants qui permet de faire croire au grand public que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !), ni que envers les élèves, ce que la majorité d’entre nous pratique naturellement au quotidien sans avoir besoin d’apprendre à l’être (une qualité inhérente à la profession me semble t-il ?).
    Bienveillance et confiance donc pour les enseignants et pas non plus en prônant l’autonomie des établissements qui va se traduire par une « autonomie-autoritaire » des chefs d’établissements visant à imposer projets, HS, répartitions, etc. avec menace à la clé de perdre des heures, de se retrouver en complément de service, de perdre son rôle de prof principal, ou autre responsabilité au profit des plus arrangeants.
    J’ai eu l’occasion il y a quelques années, à la demande de notre ancienne CE, sous le regard bienveillant (justement !) d’une collègue (M.S. qui se reconnaîtra peut-être) de participer à des ateliers de ce type d’échange de pratiques, d’expériences et de situations de classe que j’avais beaucoup appréciés pour le temps qu’on s’accorde à soi et aux autres dans une véritable écoute positive et constructive.
    C’est loin hélas, et d’autres CE formés au management de type « entreprenarial » ont très entamé depuis la confiance en soi et l’esprit d’équipe qui nous animaient, montant les jeunes contre les vieux, distribuant rapports et demandes brutales d’inspection pour des collègues fragilisés par des situations de classe non résolues par la vie scolaire, et sous l’impulsion des parents d’élèves, l’année même de leur départ en retraite.
    L’entreprise de son côté a fait machine arrière et pris conscience des dégâts qui découlent de ce type de gestion du personnel, comme en témoigne le film « Corporate » sorti récemment en salles.
    L’Éducation nationale, éternel dernier wagon du monde du travail.
    Des luttes nous attendent encore !

  3. Chapeau bas.
    Et si l’on devait compiler toutes les situations de malveillance de l’EN envers ses personnels, ne serait-ce que la hargne de certains chefaillons (rappelons-nous l’histoire de JAC), on en remplirait des bibliothèques.

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