Lectures cursives

Au regard des programmes, les élèves doivent acquérir une culture artistique et littéraire. En arts plastiques ou en musique, les élèves découvrent à la fois des œuvres canoniques et des œuvres qui le sont beaucoup moins. En cours de français, les élèves abordent la littérature essentiellement à travers des œuvres classiques.

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Quand viennent les vacances, c’est le moment de la lecture cursive. Soit le professeur de français impose aux élèves un roman, et ce parce que c’est toujours ce genre narratif qui prime, soit les élèves peuvent choisir un livre afin d’approfondir un thème traité en cours ou un style d’écriture, mais ce choix se limite encore une fois au roman, et, hormis le résumé ou la présentation à l’oral de ces livres, aucune réflexion sur ces textes n’est menée.

Ces choix de lecture cursive m’interrogent, d’une part, parce que les élèves ont des niveaux de plus en plus hétérogènes et, d’autre part, parce que la littérature de jeunesse n’est pas considérée à sa juste valeur.

Se chercher… ou chercher des mots dans le dico

En classe de cinquième dans le cadre de la thématique « Se chercher, se construire », les élèves ont dû lire L’enfant et la rivière d’Henri Bosco, sans qu’il y ait de préparation préalable en classe. Comme j’aime bien discuter avec les élèves des livres qu’ils lisent, je leur ai demandé ce qu’ils en pensaient. S’ils ont apprécié l’histoire d’amitié, ils expliquent que la partie des « eaux dormantes » est trop longue à lire, car il n’y a que des descriptions et qu’il y a des mots qu’ils n’ont pas compris. Certains ont commencé à chercher les définitions dans le dictionnaire, mais, comme il y avait trop de mots inconnus, ils ont abandonné. Comment donner envie aux élèves de lire quand ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent et que certains élèves, en plus du problème du vocabulaire, en sont encore au stade du déchiffrage ou sont dyslexiques ? En outre, il est à noter que les élèves concernés habitent dans le nord de la France et dans une zone plutôt urbaine. Il est donc difficile pour eux de se représenter le lieu décrit dans l’histoire. De fait, beaucoup d’élèves sont passés à côté de ce qui fait la poésie de ce texte.

Que veut-on, alors, que les élèves retiennent de cette lecture ? Que lire c’est passer son temps à rechercher des mots dans un dictionnaire ou que lire c’est éprouver des émotions ? Pourquoi ne proposer qu’une lecture unique ? Si c’est la magie de la Provence qui est recherchée, et je pense que c’est le cas, car le thème de la nature est un thème capital du livre, peut-être pouvons-nous proposer à certains élèves autre chose que le texte édité par Folio, qui est composé uniquement de mots. Dans la version de Folio Junior, nous sommes en présence d’un roman illustré, n’est-ce pas un moyen grâce à l’image de ressentir des émotions quand les mots n’évoquent rien ? Chez Gallimard, il existe une version audio. Écouter un texte lu par autrui, n’est-ce pas un autre moyen de médiation ? En variant les supports, ne donnerions-nous pas davantage accès, à tous, à la lecture ? En outre, cela ne permettrait-il pas de confronter les diverses stratégies de lecture et de s’interroger avec les élèves sur l’apport de chaque support lors de la découverte d’un texte ? Enfin, face à un tel texte, il serait intéressant que la lecture ne donne pas lieu à un simple contrôle ayant pour but de vérifier que le livre a été lu. Il me semble nécessaire qu’un travail soit engagé sur comment lire – et non déchiffrer – un tel texte.

Choix contraint

Parallèlement à cette pratique de lecture, qui se veut de proposer un livre identique pour tous, certains collègues laissent le choix aux élèves de trouver un livre qui leur plaît avec parfois comme justification : « Après tout, ce sont les vacances, on peut être plus cool ».

En réalité, ce choix est malgré tout déjà bien circonscrit. En effet, les élèves peuvent choisir, mais pas des bandes dessinées, ni des mangas ou des albums, pas non plus des petits romans ou des romans adaptés en films, ou encore jugés non dignes d’intérêt (par qui ?). Certes, nous sommes dans une institution scolaire et nous devons amener les élèves à développer leurs compétences, mais pourquoi penser que la littérature de jeunesse est une lecture facile ? Beaucoup de ces textes, même si leur univers est proche de celui des élèves, permettent une réflexion sur des questions existentielles, culturelles et littéraires. Si le livre choisi par l’élève ne donne pas lieu à autre chose qu’un résumé en fin de lecture, nous pouvons amener les élèves à s’interroger sur ce qu’est la littérature. Prenons un exemple : la littérature vampirique. Certains vont s’indigner en pensant que l’on ne peut pas faire lire cela aux élèves. Pourtant ces livres interrogent déjà la notion d’amour, qui est au programme de quatrième. En outre, il y a un style d’écriture qui demande aux élèves une réflexion : pourquoi des passages en italique dans le texte ? Enfin, l’intertextualité est posée : pourquoi trouve-t-on des références à la Bible ? Ainsi, la littérature de jeunesse ne doit pas être considérée comme un pis-aller. C’est une littérature qu’il faut apprendre à connaître et qui a toute sa place dans les cours de français, à condition de ne pas penser que la lecture est finie quand le dernier mot est lu.

À travers mes propos, je ne soutiens pas qu’il faille lire une littérature plus qu’une autre. Je m’interroge seulement sur la manière dont la lecture cursive est menée au collège. N’est-il pas temps d’arrêter de hiérarchiser les types de littérature ? N’est-ce pas par la diversité que les élèves vont apprendre à devenir lecteurs ? Ne peut-on pas à partir d’une problématique comme celle des héros, proposer à la fois des extraits de textes classiques et de textes de littérature de jeunesse, afin de réfléchir avec les élèves à ce qui oppose ces littératures, mais aussi ce qui les unifie ? En leur laissant ensuite le choix de lire intégralement une de ces œuvres, je pense que nous aurions des surprises sur les choix des livres ou sur leur comportement de lecteurs.

À mon sens, l’objectif au collège n’est pas de former des littéraires, mais des élèves qui aiment lire. Alors, engageons-nous sur cette voie !

Une chronique de Christine Grbec

2 réponses

  1. Tout à fait d’accord. J’enseigne en LP, et j’ai les 3ièmes Prépa Pro (L’appellation a changé 4 fois en 10 ans) depuis quinze ans et je constate la pénibilité que représente la lecture pour des enfants à besoins. Nombre d’entre aux partent en 2nde pro ensuite (je les ai aussi!) et j’ai abandonné l’idée de donner des œuvres intégrales obligatoires: ils ne les lisent pas, recherchent des résumés ou « le film » sur internet, ou demandent aux plus vaillants de leur raconter l’histoire. Je m’amuse à sélectionner les moments clés et les passages à dominantes particulières (description, argumentation etc.) pour leur donner des groupements d’extraits de l’œuvre . J’ai testé cette approche en CAP coiffure lorsque l’une des élèves qui venait de 1ère L et m’a avoué s’ennuyer en Français. Or je venais de leur parler des Liaisons Dangereuses, (le roman épistolaire de Laclos) et j’ai eu l’idée d’en faire une séquence par groupement de textes, en sélectionnant les lettres les plus révélatrices du caractère des personnages. Cerise sur le gâteau, la projection de l’adaptation ciné de Frears. Elles ont adoré et grâce à des évaluations sur le vocabulaire ou les outils de la description, et , bien entendu, leur investissement personnel, elles ont obtenu de très bonne notes… et l’envie de lire des romans du même genre (au niveau de l’intrigue, j’entends). Pari gagné. Je fais la même chose avec La Peau de Chagrin, Lorenzaccio, Le Meilleur des Mondes…Succès garanti, et enseignante satisfaite !

  2. La collaboration avec le professeur documentaliste de votre établissement est intéressante sur cette question de la lecture. Il peut présenter aux élèves une sélection thématique de livres du CDI au niveau de difficulté varié.

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