Un drôle d’OVNA !

Avec l’avènement du numérique, le manuel scolaire en papier est-il devenu inutile ? Ou alors, faut-il inventer un nouveau manuel, un manuel numérique, que l’on qualifierait de 2.0 pour être moderne et tendance ? Car le manuel numérique est « moderne, pratique, léger ». Il existe « pour la réussite de vos enfants ». En un mot, c’est « une solution innovante » 1.

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Les quatre fonctions du manuel scolaire

Mais il faudrait peut-être commencer par se rappeler l’utilité du manuel papier. Il occupe globalement quatre fonctions. La première, « officielle », est d’ordre référentiel puisqu’il propose une mise en œuvre du programme. De là, il est un instrument au service du professeur. Mais, par-delà sa fonction documentaire, il occupe une fonction idéologique et culturelle. Pour ceux qui seraient outrés par l’irruption de l’idéologie ici, qu’ils se souviennent de la dernière page du petit Lavisse : « La France est un grand pays, pas seulement parce qu’il a de braves soldats pour le défendre, mais aussi parce qu’il a des savants dont les découvertes font du bien aux hommes de tous les pays ». Les débats récents sur le « roman national » en sont un exemple plus proche de nous. Mais je ne voudrais pas relancer ici cette polémique.

Parents, élèves, profs

Architecture d’un cours, vade-mecum parental ou belles images et couleurs affriolantes arrêtant l’intérêt de l’élève ?

Le manuel est aujourd’hui conçu et organisé pour trois publics assez antagonistes, en tous cas très hétérogènes. Les professeurs qui le choisissent comme outil, les parents qui sont rassurés et qui peuvent aider leur enfant. Et enfin, les élèves, qui, en général, le subissent.
D’ailleurs, il est intéressant de suivre le processus qui aboutit au choix d’un manuel par les enseignants. Analyse comparative des différentes propositions, recherche d’un consensus. Et un an après, lamentations de l’équipe qui s’aperçoit que, finalement, le manuel n’est pas aussi bien que prévu… autrement dit, les belles images, la mise en page appétissante, les exercices fantastiques se fracassent sur la réalité de l’utilisation au quotidien.
Parce que le premier choix, la première étude des enseignants, consiste à analyser les propositions papiers. Et ensuite, à se tourner vers l’offre numérique.

Un manuel papier disqualifié et archaïque

Dans le contexte actuel, le manuel papier semble disqualifié et archaïque. Place à la modernité, le numérique. Car numérique rime avec modernité – à tout le moins dans le discours ambiant. C’est la promesse « de cours captivants » nous dit un éditeur. Pourtant, on sait depuis 1993 que lorsque l’on met dans une pièce un élève et un ordinateur, aucun miracle ne se produit ! 2
Mais, vingt ans après, on nous ressert la même antienne. Et c’est, bien au contraire, pire ! Aujourd’hui, les éditeurs se battent pour faire payer fort cher une application qui est en fait un livre numérique. Et un mauvais livre numérique en plus ! Essayez d’agrandir une image d’un manuel numérique ! Au mieux, vous bénéficiez d’un petit zoom sur une fraction de l’image.
Ce qui est aussi très inquiétant, c’est que le constat d’Eric Bruillard, qui date de 2005, est toujours d’actualité : « Il y aurait actuellement une forme de « consensus » : les éditeurs scolaires demeurent à la recherche d’un modèle économique. En l’absence de formation des enseignants (tant au niveau technique qu’au niveau des pratiques pédagogiques), ils opèrent le choix « d’attendre ». »3.
Encore plus cher, on peut opter pour la version enrichie. Ô bonheur, ne nous fuis pas ! Le manuel s’accompagne donc de multiples liens. Soit vers un site de l’éditeur (oh, les belles cartes mentales animées de Magnard !), soit vers YouTube. Et dans ce cas-là, comment être certain de la pérennité dans le temps des liens proposés ? Sans compter que je n’ai pas besoin d’un éditeur pour trouver une vidéo sur YouTube ou un autre grand site !
Aujourd’hui, le manuel numérique est un gadget aussi inutile qu’onéreux. D’aucuns parlent d’artéfact. Je propose de le qualifier d’OVNA, un Objet Visionnaire Non Abouti !
Alors, faut-il se passer de ce manuel numérique ? Aujourd’hui, au vu de l’offre, on serait tenté de répondre par l’affirmative. Mise à part l’expérience intéressante du Livrescolaire, l’offre est en effet vraiment trop pauvre.

J’arrive donc au constat d’une impasse. Le manuel papier est un objet dont on connaît bien les limites. En revanche, une certitude, le manuel numérique est inodore et non advenu. Mais fort onéreux. Les éditeurs, très frileux, sont attentistes et proposent juste la numérisation du papier, d’ailleurs vendu comme complément, comme « manuel video-projetable ». Le manuel scolaire du futur reste donc à inventer.

 

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

 


 

  1. Ce sont les arguments des éditeurs scolaires. Par pudeur, je tais leurs noms.
  2. C. Maddux, 1993, « Past and Future Stages in Educational Computing Research » in Approaches to Research on Teacher Education and Technology, Charlottesville, VA, Association for the Advancement of Computing in Education, p. 11-22.
  3. Eric Bruillard, Manuels scolaires, regards croisés, Payot, 2005.

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