Éloge de la médiocrité, du politiquement correct et de la bien-pensance

Compagnon de route du WebPédagogique, journaliste spécialiste des questions d’éducation, auteur de plusieurs livres sur les politiques scolaires, professeur de français dans une vie antérieure, Pascal Bouchard publie en ce début d’année Ce que vivre m’a appris, éloge de la médiocrité, du politiquement correct et de la bien-pensance. Le WebPédagogique lui a posé quelques questions :

  • Vous abandonnez les questions d’éducation ? C’est  du moins ce que donne à penser le titre que vous avez choisi.

Il s’agit effectivement là d’un essai plus général, qui envisage de nombreuses questions : l’écologie, la religion, la justice, la morale publique, le vivre ensemble, qui pose la question de l’horizontalité et qui s’inquiète de la possibilité d’échapper à toute transcendance et de refonder la démocratie… Mais c’est aussi l’occasion de replacer l’interrogation sur l’école dans une perspective plus vaste.

  • Tout cela est un peu abstrait. Pouvez-vous nous donner un exemple ?

On accuse souvent les enseignants d’être conservateurs, allergiques au changement. Ils me semblent pourtant beaucoup plus ouverts que d’autres professions… Songez aux chauffeurs de taxi qui ont refusé toute augmentation de leur nombre et n’ont pas vu venir Uber ! Mais les enseignants ont au moins trois bonnes raisons de se méfier des réformes. La première est d’ordre psychologique. La classe est un lieu intime, où se nouent des relations très complexes et souvent inconscientes, les élèves projettent sur le professeur des images parentales, il est même arrivé que l’un d’eux, en 3e, m’appelle « maman », et les enseignants se souviennent des enfants qu’ils étaient au même âge, et des jugements, parfois sévères, qu’ils portaient sur leurs profs… Tout ministre joue, nécessairement, le rôle du fameux éléphant au milieu du magasin de porcelaine. J’ajoute que les enseignants tiennent leur légitimité d’un concours, donc d’un système fondé sur la concurrence et l’individualisme, et qu’on leur demande d’être dans la coopération et de développer des projets collectifs.

  • Cela fait deux raisons, quelle est la troisième ?

Elle est directement issue de la réflexion qui est au cœur de cet ouvrage. On assigne souvent comme mission à l’école la transmission des savoirs. Tous les enseignants, même ceux qui revendiquent cette expression, savent bien que c’est absurde. Les savoirs sont, par définition, mouvants, évolutifs, indéfinissables, et leur réification en objets transmissibles s’inscrit dans une vision « verticale » de l’institution, à qui on demande certes d’instruire les enfants, mais aussi de leur transmettre des valeurs, notamment le respect dû à l’autorité de celui qui sait. L’acquisition des mêmes connaissances dans le cadre d’une pédagogie « type Freinet » transmet d’autres valeurs.

  • Mais alors, quelle est la finalité de l’école ?bouchard_couv

C’est justement là qu’est le problème. Personne n’en sait rien. La « transmission des connaissances » est un moyen, pas la fin. L’enseignant participe – comme les parents, comme les autres enfants, comme les animateurs de l’éducation populaire, comme les autres adultes de la Cité – à la construction d’un adulte, au passage de l’état d’enfance à l’autonomie de l’adulte, mais avec des moyens qui lui sont propres, et sans avoir droit aux moyens des autres acteurs de l’éducation. L’enseignant s’interdit de copiner avec ses élèves (et bien sûr toute relation amoureuse, même s’ils sont majeurs), il ne les envoie pas se coucher sans télévision… Ses outils sont les tables de multiplication ou la liste des verbes irréguliers. À lui d’en faire des moments de plaisir, ou des occasions d’affirmer son autorité… Car la société est incapable de trancher sur le type d’homme (et de femme) qu’elle veut, elle peine à envisager l’avenir, à faire mieux que « sauter sur sa chaise comme un cabri » en scandant « valeurs de la République »… Il est urgent de poser la question de la délibération démocratique si on veut résoudre la crise de l’école.

  • Vous pensez qu’il y a crise de l’école ?

Non. Il y a des crises, des difficultés, mais notre école remplit parfaitement la fonction qui lui a été assignée après guerre : sélectionner et former une élite. À cette aune, nous sommes parmi les meilleurs au classement de Pisa. Mais ce n’est plus un objectif avouable aujourd’hui…

Ce que vivre m’a appris, éloge de la médiocrité, du politiquement correct et de la bien-pensance, Fabert, 14 €, en librairie le 19 janvier.

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