De plus en plus vulgaires en classe

Est-ce la déformation professionnelle ou vieillirais-je sans m’en apercevoir ? Je n’ai pu m’empêcher de remarquer que les « gros mots » et autres insultes fleurissent dans la cour du collège. D’accord, ce phénomène est plutôt commun, et il existait déjà à l’époque où moi-même je pratiquais l’école comme élève. Cependant, et c’est nouveau, les mots interdits ont migré dans la classe à la même vitesse que les hashtags et les « dab » ont envahi nos vies. Ce lieu sacré du bien parler est profané quotidiennement de « ta gu**** » et autres « va te f**** f***** », sans que nos chères têtes blondes ne soient choquées outre mesure.

insultes

La vulgarité serait-elle devenue la norme aujourd’hui, une évolution naturelle du langage ? Doit-on ainsi repenser le système des « niveaux de langue » ? Adieu ô langage soutenu, vouvoiements et politesses ; je t’appréciais langage courant, espèce en voie de disparition ; bienvenue langage familier devenu courant ; #welcome langage vulgaire #tagueule. Nous, adultes, sommes-nous « réacs », « ploucs » ou « bolos » si l’on n’utilise pas les insultes courantes ? Ou pire, ne sommes-nous pas à l’origine de ce nouveau phénomène ?

Lorsqu’on interroge les élèves et qu’on les met face à leur propre utilisation des insultes, ceux-ci minimisent : « J’ai dit ta gu****, mais ce n’est pas une insulte, et puis, il m’a dit fils de p*** aussi… ». Comment réagir alors face à la violence verbale en classe ? Comment leur faire prendre conscience que leurs propos peuvent aussi blesser ou choquer leur entourage ? Pas de recette miracle malheureusement, mais quelques techniques quotidiennes pour développer la conscience des gros mots.

Mission « sauvetage de la langue française »

En cas de jet intempestif d’ordures verbales, quelques gestes simples peuvent sauver la langue française :

1. Ne pas faire semblant de ne rien entendre alors qu’un « je t’em***** » (non, pas je t’embrasse) a été lancé, et probablement écouté et enregistré par tous les élèves de la classe. L’épidémie peut encore être endiguée.

2. Ne pas paniquer : « Euh. Hein. J’ai tout entendu (mais je ne sais absolument pas qui l’a dit !). » L’élève fautif va sans doute se dénoncer lui-même si vous restez calme ;

3. Rester calme donc. Se tourner lentement vers la classe avec un regard-qui-en-dit-long, mais assez vague pour que tout le groupe se sente visé ;

4. Avoir un plan anti-tagueule ; avoir un plan de rechange.

Plan A : « Prononcer le mot »

Dans la psychologie adolescente, le professeur n’est pas censé avoir le même comportement que son élève. Lorsque le prof adopte le langage de l’ado, ce langage devient immédiatement has been et non employable. Le plan A consiste donc à répéter tout haut l’insulte qui a été formulée tout bas.

L’élève A – à un camarade : « Ta gu**** ! »

Le prof – se retourne lentement vers l’assistance : « Qui a dit TA GUEULE ? »

L’élève A – panique, en sueur, le regard bas : « C’est moi, mais l’élève B m’a dit en… Enfin, vous savez quoi… ! » (L’élève ne prononce déjà plus la seconde insulte.)

Plan B : « Prendre l’expression à la lettre »

Cette technique permet une première approche du sens propre et figuré des mots. Elle allie pédagogie et humour, et souligne la vulgarité sans moralisation (je me vends bien, là ?).

Elle fonctionne donc avec les gros mots « imagés ».

L’élève A – bas, à un camarade : « Je m’en bats les c******* ! »

Remplaçons les étoiles par d’autres mots, ce sera plus plaisant. Donc, je reprends :

L’élève A – bas, à un camarade : « Je m’en bats les coincoins ! »

Le prof – se retourne… : « Mais vas-tu laisser tes coincoins tranquilles à la fin ? » Variante pour une fille : « Tu m’expliques comment c’est possible biologiquement de se battre les coincoins ? »

Plan C : « En profiter pour faire du vocabulaire »

Parce que la reformulation n’est pas seulement l’apanage du prof, elle peut s’avérer très pédagogique lorsqu’il s’agit des gros mots. Et si cette technique devient une habitude en classe, vous n’aurez même pas à formuler à haute voix : « Elève A, peux-tu reformuler dans un langage courant s’il te plaît ? » Un regard suffira.

L’élève A – à son camarade : «Ferme ta gu**** ! »

Le prof – passe justement à côté de l’élève A à ce moment précis – « En langage courant, ça donne ? »

L’élève A – mi-gêné, mi-amusé : « Peux-tu te taire s’il te plaît ? »

Le prof – qui pousse la chose jusqu’au bout – « Et dans un langage soutenu ? »

L’élève A – après un long moment de réflexion – « Auriez-vous l’amabilité de bien vouloir cesser, si cela ne vous déplaît pas ? »

Plan D : « Expliquer l’origine du mot »

Une dernière technique enfin qui peut marquer l’esprit de l’élève à jamais, tout en le gratifiant d’un cours sur l’origine des mots. Expliquer l’origine d’un gros mot apparaît utile, tout simplement parce que mots et expressions perdent leur sens premier à mesure qu’ils sont employés et qu’ils passent dans le langage. Un dictionnaire des gros mots est requis pour se documenter dans un premier temps (hormis pour certains mots vulgaires transparents…).

L’élève A – dans le rang : « Tu me fais chier, arrête ! »

Le prof – « Tu es bien consciente que quand tu dis « Tu me fais chier », chier est un synonyme de « faire caca ». Donc tu es en train de dire à ton camarade qu’il te pousse à faire caca, là !

L’élève A – gênée : « Oh madame, mais c’est dégoûtant, pourquoi vous dites ça ?» (et parfois) « Je ne le dirai plus ça… »

Les insultes « transparentes » sont assez faciles à expliciter, avec humour toujours.

Dans la même veine, on pourra par exemple expliquer à des élèves (plus âgés, ne traumatisons pas des oreilles chastes de onze ans !) que le terme « con » désignait premièrement le sexe de la femme et que « connard » est son dérivé, ce qui devrait assez les marquer pour qu’ils ne l’emploient plus, ou plus de la même façon. Et ainsi de suite pour les centaines de mots vulgaires, d’insultes et expressions imagées qui font la richesse de notre langue… mais qu’il faut transmettre avec conscience !

Encore des situations professionnelles qui permettront de mettre en valeur la richesse de la langue française, son histoire et sa magnificence ! À bientôt pour de nouvelles aventures, bande de… joyeux profs ! 😉

Une chronique de Marine Vendrisse

2 réponses

  1. Merci pour l’article, bon sujet de réflexion en effet.

    Expliquer l »étymologie, raconter les mots, oui, c’est toujours très bien reçu par les élèves, et d’autant plus s’ils sont privés de culture littéraire, historique, linguistique (et autres…) Ce sont à peu près les seuls moments de la classe où on obtient comme par miracle, une écoute générale. Les enfants manquent d’histoire et de sens (l’un découlant de l’autre). Or ils en sont avides, car ils sont affamés.

    En revanche, croire qu’ils vont subitement cesser d’employer le mot « con » quand ils sauront d’où il vient et ce qu’il voulait dire à l’origine… : illusion, et bien au contraire. Car les garçons adorent traiter les autres garçons de fille pour les disqualifier.
    Je connais aussi un père qui traite son fils de « fille » pour le disqualifier, et ce, alors que la petite soeur est une petite fille très brillante à l’école et particulièrement forte physiquement et de caractère, ce que reconnait tout le monde autour d’elle. Donc lorsque son père le traite de « fille », c’est évidemment pour le disqualifier : « j’ai honte de toi, je ne te reconnais pas comme mon fils à cause de ton comportement, à cause de ta faiblesse de caractère et des lacunes nombreuses, à l’école, à la maison, etc. « Fille » ne désigne pas une fille, mais le déni de valeur, la disqualification par le classement au rang de la valeur inférieure.
    Donc une fois que l’on sait que « con » désigne le sexe de la fille, et bien on peut parier sur un redoublement des insultes, y compris entre fille :
    « T’es con !  » = tu es nul(le), tu ne vaux rien, disqualifié(e).

    Et puis quand vous on vous demande « Comment ça va », si vous croyez qu’on attend de vous de déballer toutes vos douleurs/couleurs du matin, c’est que vous n’avez pas saisi toutes les fonctions du langage. Idem de l’insulte : elle ne désigne pas (du caca avec le verbe « chier », un sexe de fille avec le mot « con », ou la description de votre caca du matin pour répondre à la question « comment ça va », car c’était bien cela qu’il désignait à l’origine, ce verbe « aller »…) : l’insulte a pour fonction de disqualifier, exclure, détruire. C’est pourquoi elle n’est pas à prendre mot à mot mais comme fonction. « Ta gueule » ne désigne pas une bouche mais dit la nullité de la parole de l’autre, synonyme : « meurs! » ou « tu es mort ». « Tais-toi » a la même fonction, même s’il a l’air plus élégant. (Tais-toi = tuer-toi, je te tue).

    Il nous faudrait un Rimbaud pour décrire les élèves dans une classe, dans un poème intitulé « Les affamés »… Plus vous leur raconterez le langage, moins ils s’excluront les uns les autres, non parce qu’ils connaitront le sens du mot « con », mais parce qu’ils auront moins faim.
    Bonne journée à tous (élèves compris).

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