Parler des attentats en classe

Mercredi 31 août, la grand-messe de pré-rentrée par nature solennelle a vu les visages de nos chefs d’établissement se faire graves au moment d’annoncer « les mesures prises pour garantir un haut niveau de sécurité aux élèves et personnels des écoles, collèges et lycées ». Alerte SMS,  exercice attentat-intrusion avant la Toussaint, cellules de crise, PPMS, les mesures sécuritaires déclinées sur trois axes (anticiper, sécuriser, savoir réagir) n’ont pas manqué de donner à cette rentrée 2016 une atmosphère vraiment particulière. Face à la menace terroriste, l’école doit donner des gages et établit des protocoles de sécurité. Quelques jours avant la rentrée, « Le Téléphone sonne » sur France Inter m’avait déjà donné le ton de l’année à venir. Dans l’émission, les intervenants tentaient de voir comment sécuriser les établissements scolaires sans tomber dans la psychose. Au bout de la discussion, un auditeur appelait, il était prof et se demandait s’il ne serait pas utile de former les personnels de direction et des enseignants au maniement des armes en cas d’attaque terroriste. Bref, s’il est important de faire évoluer notre culture du risque, on voit bien quels effets peuvent avoir des annonces sécuritaires sur nous et combien il est essentiel de garder la tête froide.

Ce sang-froid, ce n’est évidemment pas être insensibles et faire comme si rien ne c’était passé. Lors de cette même réunion de pré-rentrée, on a demandé aux enseignants de prendre le temps d’écouter les enfants qui ont ramené de vacances le traumatisme des attentats. J’ai toujours estimé qu’il fallait faire ce travail avec eux mais parfois cette nécessité nous tombe dessus sans prévenir. Une semaine après la reprise, c’est au détour d’un travail sur les émotions en EMC qu’un élève de 6ème me livra, de façon brute, cette peur des attentats et de la mort.

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En passant dans les rangs, je me suis demandé comment recevoir cette émotion qui tranchait si fortement avec celles de ses camarades parlant eux film d’horreur et loup garou.  Je lui ai alors dit de lire son texte et ce besoin d’en discuter et d’être rassuré a gagné la classe. Cet élève verbalisait « une peur » bien réelle qui les tenaille tous d’une manière ou d’une autre. « Msieur, un terroriste peut vraiment venir nous tuer ? », « Mais pourquoi ils font ça ? ». Ce matin-là, la police venait d’arrêter trois femmes suspectées de projeter un attentat sur Paris. On en a donc parlé.

«- Nous sommes protégés, tu vois la police assure notre sécurité et elle fait son travail puisque ces femmes ont été mises hors d’état de nuire.

– (élève) Oui mais chez nous, la vogue (fête foraine), elle n’aura peut-être pas lieu. Ça veut dire que chez nous aussi c’est dangereux.

– (un autre) Si ! La vogue aura lieu, mais le corso (défilé) ne se fera pas, c’est trop dur à protéger.

– Oui mais si le corso n’a pas lieu, vous pourrez quand même faire la fête parce qu’il y aura la police et des agents de sécurité et grâce à eux le périmètre sera sans danger.»

On a regardé une carte, rappelé que Saint-Étienne du Rouvray n’est pas le Saint-Étienne à 10 minutes du collège, qu’il y a eu quatre séquences d’attentats en France depuis janvier 2015 et fait le tri entre les informations. Une élève expliqua qu’avec sa famille, ils étaient tout de même partis en vacances en Tunisie après les attentats qui avaient touché le pays parce qu’il « faut bien continuer à vivre et à s’amuser ». Même loin de Paris ou de Nice, l’onde de choc des attentats nous atteint tous par la peur suscitée et les mesures prises. En donnant la parole aux enfants, on voit que la force des mots nous permet d’agir sur les événements en les mettant à distance. Des mots pour cultiver le vivre-ensemble et se construire une vision du monde où l’on ne peut pas tolérer de telles horreurs. L’enfance a peur, nous devons accueillir cette parole et apaiser. Mais le tempo d’un cours n’est pas celui d’une consultation. La discussion file au gré des questions d’élèves qui surgissent et veulent une réponse immédiate. On ne peut pas tout relativiser, dire simplement que « le risque zéro » n’existe pas et que le tabac ou l’alcool sont plus dangereux que les terroristes. Il faut à un moment les faire entrer  dans la complexité du monde pour que la brutalité des attentats soit expliquée. Il faut savoir aussi prendre le temps et reporter des questionnements à plus tard. Dans la salle de classe, il n’y a pas de protocole à suivre pour panser ces craintes d’enfants. On tâtonne, on peut être maladroit mais on fait avec ce que l’on est, apportant des réponses à des enfants qui n’en discutent pas à la maison et ça, c’est déjà beaucoup.

Une chronique d’Emmanuel Grange

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