Le feuilleton de l’été n’est pas tout à fait fini, du moins pour nous, gens du sud, qui ne nous posons pas la question d’afficher notre bronzage ( cf. La chronique de Fanny, « Les signes qui montrent que vous êtes prêt(e)… ou presque ») vu qu’on l’a fait en mai / juin à l’ouverture de nos piscines, et que notre bonne mine continuera jusqu’aux prochaines vacances, si on tient bien sûr la résolution numéro 1  : aller tous les jours en cours à vélo !

Burkini, peut-on philosophiquement en débattre ?

Bref, les week-ends, nous pouvons encore aller corriger les copies en bord de plage. Alors, burkini ou pas ? Le débat n’est pas clos malgré notre volonté d’en finir et la question de la rentrée risque d’être un piège pour certains. Alors même que nous en avons débattu avec frivolité sur le lieu même du délit, avec nos amis, notre famille, comment l’aborder avec nos élèves ?

C’est à nouveau le prof de philo qui, dès la rentrée, est sollicité par ses collègues, puis par une horde d’adolescent(e)s à peine sortis de vacances. Pour la plupart des jeunes, non initiés à cette nouvelle discipline qu’ils orthographient encore avec un Y pour faire plus difficile, ils ne sont que les porte-paroles de parents anxieux ; d’autres, auront une idée bien précise sur la question et il faudra « convertir leur âme » pour qu’elle se tourne vers la vérité, ou tout du moins s’étonne de ses propres opinions… Le travail philosophique aura commencé.

Voilà comment on pourrait mener le débat :

 

Pour illustrer cette question, on peut faire écouter l’émission de France Culture avec le philosophe Michaël Foessel qui recentre le débat de la peur de l’autre sur les valeurs de la République, dont la laïcité.

On nous annonce, à nous, enseignants, une tâche difficile en cette rentrée pour apprendre aux jeunes élèves la laïcité, que le philosophe Henri Péna-Ruiz définit ainsi : « La laïcité, c’est un cadre juridique et politique permettant à des êtres différents du point de vue des options spirituelles ou des convictions personnelles de vivre ensemble. » Que peut-on faire en cours de philosophie ?

Dès la rentrée il est conseillé de donner aux jeunes apprentis philosophes des sujets de bac, afin de les familiariser au plus tôt aux « chardons et épines » du baccalauréat qui les attendent dans quelques mois…

Pour donner à lire et surtout apprendre à philosopher par les textes qui appartiennent aux annales du baccalauréat, on pourra proposer de réfléchir avec Locke et John Stuart Mill :

« Le port d’une chape ou d’un surplis ne peut pas plus mettre en danger ou menacer la paix de l’État que le port d’un habit ou d’un manteau sur la place du marché ; le baptême des adultes ne détermine pas plus de tempête dans l’État ou sur la rivière que le simple fait que je prenne un bain. […] Prier Dieu dans telle ou telle attitude ne rend en effet pas les hommes factieux ou ennemis les uns des autres ; il ne faut donc pas traiter cela d’une autre manière que le port d’un chapeau ou d’un turban ; et pourtant, dans un cas comme dans l’autre, il peut s’agir d’un signe de ralliement susceptible de donner aux hommes l’occasion de se compter, de connaître leurs forces, de s’encourager les uns les autres et de s’unir promptement en toute circonstance. En sorte que, si on exerce sur eux une contrainte, ce n’est pas parce qu’ils ont telle ou telle opinion sur la manière dont il convient de pratiquer le culte divin, mais parce qu’il est dangereux qu’un grand nombre d’hommes manifestent ainsi leur singularité quelle que soit par ailleurs leur opinion. Il en irait de même pour toute mode vestimentaire par laquelle on tenterait de se distinguer du magistrat (représentant de l’autorité politique) et de ceux qui le soutiennent ; lorsqu’elle se répand et devient un signe de ralliement pour un grand nombre de gens qui, par là, nouent d’étroites relations de correspondance  et d’amitié les uns avec les autres, le magistrat ne pourrait-il pas en prendre ombrage, et ne pourrait-il pas user de punitions pour interdire cette mode, non parce qu’elle serait illégitime, mais à raison des dangers dont elle pourrait être la cause ? Ainsi, un habit laïc peut avoir le même effet qu’un capuchon de moine ou que toute autre pratique religieuse. »

John  Locke, Essai sur la tolérance  (1667), GF, trad. Jean Le Clerc, 1992, pp 110 et 121.

John Locke écrit son Essai sur la tolérance en 1667, dans un contexte de guerre civile anglaise, ce qui lui permet de combattre la théocratie anglicane donnant au roi un pouvoir absolu, un pouvoir de droit divin. Il oppose à ce dernier l’idée d’un contrat social où chaque individu est libre et responsable devant Dieu et où aucun pouvoir politique ne peut réglementer la vie religieuse. On trouve ici un texte d’une stupéfiante actualité parce que hostile à toute forme de contrainte ou de violence en matière de religion. À ne pas confondre avec le sens français et actuel du mot « laïcité », c’est l’idée de séparer le politique et le théologique qui influencera les révolutions anglaises, américaines et françaises. Il montre que le choix des vêtements est libre, à condition de ne pas servir de signe de ralliement contre l’autorité, contre le pouvoir politique.

*

« La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un de ses membres est de l’empêcher de nuire aux autres. Contraindre quiconque pour son propre bien, physique ou moral, ne constitue pas une justification suffisante. Un homme ne peut pas être légitimement contraint d’agir ou de s’abstenir sous prétexte que ce serait meilleur pour lui, que cela le rendrait plus heureux ou que, dans l’opinion des autres, agir ainsi serait sage ou même juste. Ce sont certes de bonnes raisons pour lui faire des remontrances, le raisonner, le persuader ou le supplier, mais non pour le contraindre ou lui causer du tort s’il agit autrement. La contrainte ne se justifie que lorsque la conduite dont on désire détourner cet homme risque de nuire à quelqu’un d’autre. Le seul aspect de la conduite d’un individu qui soit du ressort de la société est celui qui concerne les autres. Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l’individu est souverain.

Il n’est peut-être guère nécessaire de préciser que cette doctrine n’entend s’appliquer qu’aux êtres humains dans la maturité de leurs facultés. Nous ne parlerons pas ici des enfants, ni des adolescents des deux sexes en dessous de l’âge de la majorité fixé par la loi. Ceux qui sont encore dépendants des soins d’autrui doivent être protégés contre leurs propres actions aussi bien que contre les risques extérieurs. »

John Stuart Mill, De la liberté (1859), Éd. Gallimard, trad. L. Lenglet, 1990, chapitre premier.

 

Pour John Stuart Mill, une communauté ne peut pas contraindre un individu à faire ou non une action, à moins que cette action porte préjudice à autrui. Il introduit une distinction conceptuelle importante : « la contrainte » et « la persuasion ». Si la communauté juge qu’un comportement devrait être adopté par un individu, elle peut le persuader (par des arguments, de reproches, des supplications), mais elle ne peut pas l’y contraindre. Y-a-t-il des limites du pouvoir de la société sur l’individu ? Certes si la communauté ne peut pas contrainte par la force un individu à vivre selon un idéal de sagesse, de justice, d’égalité, elle peut chercher à éclairer, expliquer, enseigner, bref inciter l’individu à agir conformément à ce qui universel, à savoir la droite raison.

Et vous, serez vous capables d’en débattre sereinement ?

Bonne rentrée philosophique à tous !

Une chronique de Florence

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