que je réutiliserai en tant que prof

sam

21h00, lundi 2 mai. Me voilà installé confortablement sur mon canapé du salon. J’ai disséminé ici et là les copies de mes élèves pour n’être focus que sur mon rencard du soir. Oui, ce soir, j’ai rendez-vous avec Sam. Non, pas celle qui ne boit pas et qui va me ramener d’une soirée bien trop arrosée ; celle qui fait le même boulot que moi, et avec qui je pourrais échanger mes joies et mes peines d’enseignant de lycée professionnel.

Alors, Sam, on peut se tutoyer ?

Le rendez-vous était pris. D’un mouvement de travelling harmonieux sur des bambins jouant au ballon dans une cour de collège baignée par le soleil, je te découvrais assise sur le trône qui, même s’il n’était celui des Lannister, me faisait tomber sous ton charme.

J’aime la manière dont tu t’adresses à nos jeunes, les-petits-trucs-de-prof qui marchent

Oui Sam, la rencontre s’est faite entre nous de la plus belle des manières, sur notre lieu de travail. J’aimais la manière dont tu t’adressais à nos jeunes, les-petits-trucs-de-prof qui marchent, comme parler de foot (idéal pour se mettre les gars d’une classe dans la poche, moi qui déteste ça je me force à faire des fiches des plus grands clubs et je me suis fait tatouer CR7 sur l’épaule, on sait jamais), ou mettre un élève à la place du prof. Bon, ça j’ai testé et le jeune est resté à peu près 2 minutes à cette place avant de remettre en cause la virilité de mon père et sortir de classe en claquant la porte. Mais au moins j’avais essayé.

Sam, à la fois maman de trois enfants, mère courageuse, à l’humour décalé et souvent décapant, qui n’hésite pas à jouer avec les moyennes des élèves (la célèbre note de participation qui est le Saint Graal, le sacro-saint symbole de la subjectivité de l’enseignant) et avec les émotions des collègues, y compris le directeur du lycée.

Les élèves pensent souvent que les profs ne sont pas vraiment réels

Et pour finir, ce que j’aime chez toi, c’est que tu es proche de ce que nous sommes nous les enseignants : des êtres humains avant tout. Les élèves pensent souvent que les profs ne sont pas vraiment réels, qu’ils se rangent le soir dans des cercueils de formol et attendent la journée du lendemain, la main crispée sur un tas de copies, tel un Vlad Tepes erratique. Et bien non, tout comme Sam nous mangeons (mal), nous buvons (trop), nous répondons à des sextos (hmmm) ou nous faisons nos besoins. Et ça, crois-moi, peu d’élèves le savent.

Donc une belle histoire était possible entre nous, à quelques détails près cependant. Et il convient vraiment d’en parler. Tout d’abord, ne pas être si désabusé même si tu as l’impression que cet élève va te dire seulement d’une manière différente ce que 3256 élèves t’ont demandé avant lui :

« C’est dur d’être prof, vous en avez pas marre de nous supporter ? »

« Paraît un prof ça gagne tarpin peu de thunes, au réseau je me fais en trois jours ce que vous gagnez en un mois, ça vous rend pas fou ? » (rire sardonique)

« C’est vrai De Gaulle il est mort ? »

Le principe de répétition. Dire les choses. Écouter. Ce qu’on a déjà entendu une kyrielle de fois. Et si un élève vient chez toi ; je veux dire pour une autre raison que sonner à ta porte à minuit et se barrer, ou kidnapper ton chat contre rançon, alors pose-toi des questions. Non, ce n’est pas normal. Car il n’y a pas de continuum espace-temps entre le territoire des profs et celui des élèves. Est-ce que Voldemort va prendre l’apéro chez Harry ou Hermione ? Non je ne crois pas. Alors attention. Restons sur nos gardes. Et pour finir je note, Sam, que la petite scène où tu te moques d’un élève, celui qui provoquait Aurélie en lui disant qu’elle a grossi (ce qui, par rapport à ce que disent certains jeunes, passerait presque pour un compliment) est moins efficace que la rédaction donnée à la jeune fille éprise de toi.

Dès demain j’utiliserai ta technique

Je me permettrai dès demain d’utiliser cette technique, qui permet de résoudre certains problèmes en les mettant dans une perspective pédagogique. Alors qu’une étude sur la ville de Lesbos peut convenir pour nos amis homophobes, une autre sur la citation de Philippe Néricault Destouches pourra convenir aux absentéistes chroniques.

J’ai tant à apprendre Sam, nous avons tant à apprendre l’un de l’autre.

En revanche, je serai beaucoup moins clément avec l’ensemble de ton entourage. Ces gens ne t’aident pas Sam, et je pense même qu’ils peuvent nuire à ta réputation d’enseignante confirmée et sympathique.
Prenons le directeur. Je ne ferais pas ici de vile crise de jalousie, ce qui serait tout à fait inapproprié, mais je veux parler ici de son manque de crédibilité. Les motifs des absences de ce pauvre élève dont la grand-mère est morte trois fois sont comme une mise en abyme du travail d’acteur de ce chef d’établissement, dont on ressent tout de suite qu’il ne vient plus aux soirées rectorales et se contente du minimum. Bien loin d’être intouchable, en somme.

Et cette Madame Shneck, qui n’aime pas le café, et qui a bien du mal à gérer son premier face à face avec les quatrièmes. Je veux bien être compatissant. Mais tout de même… Ne faut-il pas proposer autre chose aux élèves que des exercices de conjugaison, qui vraisemblablement ne vendent pas du rêve. L’orthographe, la grammaire sont importantes mais il faut aussi les englober dans un projet plus accrocheur pour éviter les élèves décrocheurs. J’imagine une seconde proposer à mes jeunes de copier des conjugaisons au tableau et il me vient en tête le supplice de Tantale, ou encore l’Enfer de Dante. À ce niveau je les vois un à un se lever de leur chaise et me gifler. L’enseignant transformé en Prométhée moderne.

Et je ne passerai pas sous silence ce parent d’élève qui, soucieux de son métier, entreprend de restaurer l’image des garagistes d’une manière fort honorable et virile (excusez-moi Monsieur, archétype, ça prend un K ?) ; ni même les deux jumelles Vénus et Serena (on pourrait punir les parents pour cette blague ?) qui utilisent comme insulte une expression de 1950 maximum : « mettre la main au panier ».

Ce qui pourrait convenir si elles s’appelaient Michaelle et Tony Parkerette. Il est temps de conclure, je sens le mal s’insinuer en moi.

Les élèves ont un sens aigu de la mise en scène

Je dois donc conclure. Une journée difficile m’attend demain car à Marseille, le mois de mai est synonyme de désertion d’élèves (il fait plus de 22°, les plages sont donc ouvertes). Les élèves me parleront peut-être de toi, bien qu’ils soient le plus souvent attirés par des reportages du type: « Marseille, drogue, délinquances: les quartiers sont en feu ».

Toujours de l’espoir en barre(tte)s.

Mais moi je leur parlerai de toi, car malgré leurs remarques décalées et leur géographie approximative, ils ont tous pour la plupart un sens aigu de la mise en scène. Et une vision très fine de leur représentation dans les médias. Tout n’est pas perdu.

À bientôt Sam.

Bises.

Frédéric Lapraz

Ce billet a été initialement publié sur le Huffingtonpost.

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