IL est arrivé il y a deux ans en CAP.

Dans ce groupe difficile, à l’avis de tous les enseignants, les élèves étaient en général mécontents de leur orientation. Ils la subissaient.

3 filles, 9 garçons, la plupart en échec scolaire et en rejet de tout, et en particulier des adultes.

J’étais leur professeur principal, et le suis restée sur les deux années du CAP.

lui

Avec eux, épaulée par mon équipe, nous avons tenté diverses techniques pour créer une cohésion, améliorer l’ambiance qui était aussi déplaisante en enseignement général qu’en enseignement professionnel. Aucune matière, aucun professeur ne remportait les suffrages des élèves, et nous avons tous vécu des moments difficiles ; même le professeur de sport n’arrivait pas à canaliser le groupe, c’est peut-être lui qui a rencontré le plus de difficultés. Inévitablement, un groupe de 2-3 élèves se débrouillait pour mettre le souk et saborder le travail du professeur, pourtant souvent sensibilisé à la réussite des élèves, et investi dans des projets culturels et dans l’accompagnement d’élèves en difficultés de toutes sortes. Chose étonnante, ces élèves ne se sont jamais rencontrés en dehors des cours, à l’extérieur du lycée, chacun avait sa vie dans son quartier, sans aucun lien avec un camarade du lycée.

Nous avons organisé des entretiens individuels, pour tenter de recadrer les élèves. Sans grand succès : les quelques élèves un tant soit peu investis étaient démoralisés par l’ambiance, et ont commencé à manquer les cours.

Quelques sorties n’ont pas réussi à améliorer les choses ; l’ambiance devenait lourde entre les élèves, en cours, en groupe.

Alors qu’en lycée professionnel, les classes de CAP n’ont pas d’heure de vie de classe, ni d’accompagnement personnalisé, il a fallu, quasiment toutes les semaines, faire le point sur un ou plusieurs incidents plus ou moins grave(s) : vols, bagarres, insultes, jets de boules puantes et j’en passe.

J’ai décidé d’instaurer une fois par mois des ateliers philosophiques, où les élèves, après avoir réfléchi quelques minutes, parlaient sur un thème donné.

Ils se mettaient en cercle, et nous faisions passer un bâton de parole : chacun pouvait alors s’exprimer au moment où le bâton était entre ses mains. Sur chaque thème, ils ont parlé, et ils m’ont réclamé régulièrement ces ateliers.

Je leur ai proposé comme premier sujet de réflexion : « grandir ». Puis « l’autorité », « le respect », « être responsable », « le harcèlement » …

Le harcèlement

IL s’est très vite plaint d’être harcelé. IL m’a envoyé des appels au secours réguliers, car IL se sentait ostracisé dans cette classe difficile, où IL n’avait pas réussi à se faire de copains.
L’équipe éducative alertée n’a malheureusement pas réussi à améliorer les choses.
Jusqu’en fin de 2ème année, j’ai reçu des messages de LUI, auxquels je suis restée attentive, et auxquels j’ai essayé de répondre au mieux :
« M. recommence à me chercher (…) ça va me soûler mais ne dites rien pour le moment, svp » (Ok, on voit ça)
« Je vais pas vous mentir, des fois j’ai même pas envie de venir en cours à cause des personnes comme lui, mais dites rien » (d’accord, je reste à l’écoute ; l’idéal si tu peux, c’est l’ignorer)
« Je suis à bout des fois, ils me déconcentrent en cours, j’arrive pas à travailler » (Le Proviseur et les collègues sont informés, on est là).
« Bonsoir, excusez-moi, je n’en peux plus de rester dans cette classe » (Tiens bon, plus que 2 mois. Je suis au lycée demain. Je peux te voir avant le cours. Tu me diras ce qui se passe, ou si tu préfères tu me l’écris. Dis-moi ce que tu aimerais qu’on fasse).
« Hier ils m’ont tous charrié j’ai rien dit, alors que moi j’ai jamais cherché personne, à chaque fois c’est moi qui prends » (Ce n’est pas facile pour F. non plus qui est maintenant la seule fille, ni pour D.).
(Comment ça se passe ces derniers jours ? Ca va mieux ?) « Oui, ça va ».
« Madame là je suis à bout je n’en peux plus. Là ça me donne même plus envie de venir en cours » (Tu es où ? Je vais au Pôle Culturel, rejoins-moi).
« Bonjour, il y a M. et J. qui recommencent à me provoquer » (Ignore-les ou au contraire, reprends ce qu’ils disent en l’amplifiant… Que disent-ils ?).
« Ils ont mis des photos genre c ma femme… M. m’insulte dans sa langue… Moi demain si ça se passe mal je viens pas au lycée » (Réponds lui que alors, ça veut dire que TOI tu as une copine. Où est la sienne ?).
« Moi vraiment je n’en peux plus de cette classe » (À vrai dire, moi non plus)
(Serais-tu prêt à porter plainte pour harcèlement ?) « Non c bon »

*

Et la fin d’année est arrivée, enfin. Le succès à l’examen. L’autorisation d’intégrer, malgré de très grandes difficultés scolaires, le DT, cette classe préparant à un diplôme de technicien, équivalent d’un bac pro.

Voilà. Ils sont à présent 17 dans cette classe. Venus d’horizons divers. Avec des niveaux très hétéroclites. Quelques élèves issus de cette même classe de CAP, mais triés sur le volet, d’autres sortant de seconde générale, d’autres reprenant des études après une interruption, une élève titulaire d’un bac S…

Une classe…  Plutôt sympathique et agréable, malgré des bavardages… Des élèves ouverts, curieux…

Et LUI. Lui dans la classe, enfin un sourire aux lèvres… Les anciens harceleurs partis… Mais un fossé inqualifiable pour tenter de se mettre à niveau… Heureusement, en atelier, ses acquis l’aident à se maintenir, mais en maths ou en français, oh la la ! C’est dur-dur !

Un jour, parce que nos emplois du temps sont incompatibles, je lui ai proposé de le recevoir chez moi un samedi matin, pour lui réexpliquer le cours sur les fonctions. IL a tout de suite été d’accord.

Mais le matin même, panique : son père, arrivé la veille du Mali, tenait à l’accompagner. Pas de problème pour moi, mais pour LUI, c’était la catastrophe. En chemin, IL m’a envoyé des messages.

« Madame, ne lui dites pas que je suis en difficulté. »
« J’ai peur de le décevoir. »

Alors, au papa, qui ne comprenait pas pourquoi ce fils cadet est en lycée professionnel, alors que lui, son père, a un bac général, et que ses frères et sœurs ont fait de « grandes études », il a fallu expliquer que son fils avait d’autres aptitudes, que ni lui, ni moi ne maîtrisions : la PODO-ORTHESE, c’était sa spécialité. Et que ce n’est pas facile pour tout le monde de comprendre les mathématiques, quand à la maison, on se retrouve seul devant ses exercices.

Le papa est retourné au Mali. LUI est resté chez son frère. Ou son oncle, ce n’est pas très clair. Et ça change aussi parfois.

Ce n’est toujours pas top, en maths, mais il y a du mieux.

Aujourd’hui, IL ne sourit plus aussi souvent qu’en début d’année. Et IL est toujours isolé. Quand je lui demande si tout va bien, Il me répond qu’IL est juste un peu fatigué… IL m’inquiète. Et me perturbe, lorsqu’à la veille des vacances, après un contrôle, il m’envoie un message pour me dire qu’une camarade a triché ! Ça, non ! Dénoncer un harceleur, bien sûr, mais pas de délation envers ses camarades, sinon !

C’est compliqué tout ça… Et je ne sais pas toujours si ma position est la bonne.

Une chronique de Marine Cat.

Une réponse

  1. Bravo Marine ! C’est déjà énorme l’empathie que tu lui témoignes, l’intérêt que tu lui portes et le soutien que tu lui apportes.
    Mais toi non plus tu ne peux pas supporter seule toute cette angoisse et toute ce mal être.
    Il faut peut-être l’orienter vers un spécialiste (le COP, un psy, le médecin scolaire, un CMP, une assistante sociale, ???). Mais connaissant ton professionnalisme, j’imagine que tu as déjà pensé ça. Encore faut-il qu’il accepte d’être suivi.
    Un beau métier que le nôtre !
    Cathy

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