Ça y est je le tiens mon premier cours de philosophie de la rentrée 2015, de quoi captiver les élèves pendant une année scolaire ! Sans prétendre avoir comme on dit « de la bouteille » je compte plusieurs rentrées à mon actif et celle qui s’annonce me semble particulièrement amusante avec cette couverture fictive de Closer, exclusivement consacrée aux philosophes.

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« Michel Onfray. Contre-histoire de la philosophie »
Photo-montage de l’artiste Clémentine Mélois

 

Freud présenté comme un « obsédé sexuel et frigide », Hannah Arendt « amoureuse d’un nazi », Michel Foucault « sado-maso », de quoi intriguer les plus rétifs à la noble discipline et les amener à « penser people » pour démarrer les thèmes du programme : l’amour, le désir, autrui, l’inconscient…

La presse people, une ressource pour penser ?

Si l’objectif de la philosophie est d’attirer l’attention des élèves c’est assez réussi… On sait que la philosophie, comme l’enseignaient Aristote et son maître Platon, commence avec l’étonnement mais sur quoi peut-on encore s’étonner aujourd’hui ? Clémentine Mélois, artiste plasticienne nous donne une sorte de ressource contemporaine que ne démentiraient pas les lecteurs de certains magazines populaires. La « philo » selon le terme qui sonne plus moderne que l’ancienne « philosophie », n’est-elle pas partout ? Dans les magazines, les cafés, les émissions radios ou télé, les bandes dessinées, les CD et même les croisières ? Combien de parents de nos jeunes étudiants achètent en toute naïveté les ouvrages de vulgarisation, les manuels « pour les nuls » ou les « contre histoires » de la philo, de manière à passionner leur progéniture avant même qu’ils pénètrent dans nos cours. Combien de filons, « philobac », « j’ai mon bac », « le bac sans peine », vulgarisent les concepts et font de la sagesse une marchandise à l’instar des professeurs qui s’acharnent à « faire cours ». Quel cours contre les vedettes télévisuelles, radiophoniques et autres gourous de la philo ?

Du professeur de philosophie au maître à penser

La distinction entre le professeur et le philosophe a toujours été caduque. Que l’on songe à la figure tutélaire de Socrate qui s’adresse à tous les Athéniens sur la place publique ou à son disciple Platon qui fonde la première école de philosophie, cette articulation entre l’enseignement, la pratique et la pensée philosophique reste problématique. Au XVII° siècle la philosophie est présente dans les salons mondains, et les traités théoriques qui voient le jour sur le modèle des sciences ne sont plus lus s’ils ne concernent pas les arts de vivre. A la fin du XX° siècle, on constatera avec nostalgie la fin de ces « maîtres à penser » qui donnaient des lignes de conduite à leurs disciples, élèves ou lecteurs. L’opinion confond alors les grandes figures telles que Sartre, Foucault, Deleuze, et la philosophie. Si on se sent aujourd’hui en manque de pensée comme en manque de sens, n’est ce pas plutôt en raison de la multiplicité et la diffusion de toutes les opinions qui empêchent d’unifier l’ensemble des savoirs ? Ce qui semble démocratique, sous prétexte de vulgariser les savoirs, ne va-t-il pas à l’encontre même de la philosophie, au sens d’une méthode et d’une rigueur de penser?

L’antique sagesse et l’éducation morale contre la vérité

La critique communément adressée aux philosophes de ne pas agir, de ne faire que contempler le monde n’est pas nouvelle si l’on considère les clichés de l’histoire opposant les métaphysiciens tel Platon et les pensées des épicuriens ou des stoïciens proposant de soi-disants arts de vivre. Mais n’est-ce pas réduire la philosophie ou même détourner sa définition d’ « amour de la vérité » amour du savoir au profit de ce qui plait, ce qui intéresse de manière ponctuelle voire égoïste. Si le grand public en général et nos élèves en particulier ont un rapport si ambigu à la philosophie, c’est qu’on leur promet de résoudre ce qui les intéresse (l’amour, le désir, la liberté, le bonheur) en leur proposant du « concret » sur les grandes questions de la vie. Combien de jeunes apprentis philosophes restent fascinés et perplexes face à des pensées plus ou moins cohérentes qui leur donnent du sens davantage qu’elles ne prétendent les mettre en quête de vérité. Le problème n’est pas tant les contenus que l’on peut proposer pour penser, mais la méthode. Nous savons bien que la vocation de la philosophie n’est pas de réenchanter le monde en donnant des significations au moindre objet ou au moindre événement. N’importe quel phénomène médiatique n’est pas porteur de sens philosophique et le premier geste du philosophe reste le doute à l’égard du prêt-à-penser, de ces opinions toutes faites ou préjugés que véhicule la large sphère médiatique.

Des images « choc » aux textes rares

Finalement, mes chers élèves, pour ne pas me mettre en contradiction avec la philosophie en prétendant faire de la philo (plus moderne, plus choc), je vais essayer cette année encore de vous étonner (entendez le mot grec « frapper de stupeur », « émerveiller »). Commençons par ces quelques lignes de Heidegger – dont je ne raconterai pas la biographie – et demandons-nous si la philo, c’est intéressant !

Personne ne voudra contester qu’il existe aujourd’hui un intérêt pour la philosophie. Mais reste-t-il encore quelque chose aujourd’hui à quoi l’homme ne s’intéresse pas -au sens où il comprend ce mot ? Inter-esse* veut dire : être parmi et entre les choses, se tenir au cœur d’une chose et demeurer auprès d’elle. Mais pour l’inter-esse moderne ne compte que ce qui est « intéressant ». La caractéristique de ce qui est « intéressant », c’est que cela peut dès l’instant suivant nous être déjà devenu indifférent et être remplacé par autre chose, qui nous concerne alors tout aussi peu que la précédente. Il est fréquent de nos jours que l’on croie particulièrement honorer quelque chose du fait qu’on le trouve intéressant. En vérité, un tel jugement fait de ce qui est intéressant quelque chose d’indifférent, et bientôt d’ennuyeux. Heidegger.

On parlera d’amour en lisant le Banquet de Platon, de morale en lisant les fondements de la métaphysique des mœurs de Kant, de liberté et de bonheur en fréquentant Épicure et Sénèque, tout ceci sans promesse, sinon celle de vous permettre de penser par vous-mêmes.

Sapere aude ! Ose te servir de ton propre entendement, telle était la devise des lumières un titre de presse choc, non ?

Une chronique de Florence Begel

Blog Philochar élèves

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