Ca y est, on y est c’est la fin de l’année. On attend ce moment secrètement, doucement toute l’année. On attend la libération de nos contraintes, on veut laisser notre sac dans un coin et ne plus y revenir tout de suite. Il y a encore le bac à surveiller, 22 heures à regarder les élèves composer, et le rattrapage, jusqu’au 11 juillet.
Mais après, ça y est, commence la douce torpeur de l’été.
Qu’est ce qui me reste de cette année ? Entre mémoire et oubli, mon cœur balance.
J’oublie :
- Mes dimanches soirs déprime à penser à ma classe du lundi matin qui finit sa nuit, les yeux ouverts et fixes.
- Mes matins chagrins, dans le froid, partie à 7h10 pour mes cours à 8h.
- Mes moments de solitude quand les élèves ne veulent pas participer.
- Les piles de copies, les liste de mp3s, oraux d’élèves à corriger.
- Les grèves de transport, les bouchons, les rues qui défilent lentement, l’heure qui tourne.
- Les prises de bec avec les élèves, les larmes dans les yeux.
- les classes difficiles, les affrontements, heure après heure, la guerre des nerfs, la boule dans le ventre mais pas envie de faire voir sa peur.
- Les mauvaises nouvelles, les décès, les peines, les départs des personnes qu’on aime, les évènements qui nous attristent.
- Les élèves qui partent, et comme tous les ans, ça me donne du vague à l’âme, et je n’y peux rien.
- Les feuilles de colle, les rapports d’incident, les rendez-vous parents et le ton qui monte.
- Le fait qu’en septembre, quoi qu’il arrive, il faudra tout recommencer.
- Les journées qui n’en finissent plus, 8h/18h.
- Les années qui passent et passent de plus en plus vite.
- Mes impairs, mes bévues, ma méchanceté que j’essaie de vite rattraper.
J’essaie de ne pas oublier :
- Les sourires des élèves le matin, les regards complices, les bonjours tonitruants, les sourires timides.
- Les faux yeux de Faustine dans sa vidéo posés sur sa main pour commenter sa recette en anglais.[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=quTTaUUIlFw[/youtube]
- Le goût des roses des sables au chocolat, des pancakes et des chouquettes que les élèves ont ramenés. Plan machiavélique, vidéo en anglais, gâteaux faits et partagés.
- La joie d’être en classe, quand tout roule, quand les élèves travaillent, progressent et s’intéressent.
- Les fous rires en salle des profs pour une histoire de bikini en coquillages.
- Les copies parfaites, rien à dire, un beau 20.
- La semaine en Irlande, les chants, les photos sur la plage, les 18 heures de bateau en cabine nuit comprise. La danse gaélique, les bodhrans, tambours irlandais en peau de mouton (prononcer Bow-Rawn), les déplacements en bus, la journée à la ferme.
Les séances radio enregistrées et les blagues en direct. Les séances Skype avec la Suède, le Canada, les USA, l’Espagne, l’Angleterre, la Roumanie…Le jeu sur l’argot en flashcards par webcam interposée.
- Le voyage aux USA, le chauffeur de bus à l’âge canonique qui dessinait du doigt le trajet pour revenir dans l’aéroport dont il venait de rater l’entrée, notre accueil dans le Vermont, la culture bio, la chaleur des habitants, les larmes des élèves quand ils ont quitté leurs correspondants au bout de 15 jours
Nos élèves aussi balancent entre mémoire et oubli.
C’est une bataille constante : je veux qu’ils se souviennent, ils luttent pour oublier.
Je leur dis « Pensez-y » et ils se roulent dans l’amnésie.
J’essaie de me battre, je fais des teasers en ligne des événement à venir, je prends des photos et des vidéos.
On fait répéter, on reprend, on essaie de faire mémoriser, et très vite, ce qu’on voulait tisser, part en écheveaux.
Ils oublient la règle de grammaire, mais se souviennent de votre faute d’orthographe au tableau.
Les élèves aussi auraient bien besoin d’une cure de magnésium.
On les croise, dans les couloirs ceux à qui on a fait cours pendant un an et ils semblent ne pas vous reconnaître, les yeux englués dans leurs portables.
Lassée, de me « prendre des vents », j’ai craqué et demandé aux impudents comment ils osaient ne pas me saluer. La réponse fut cinglante « mais Madame, on ne vous voit pas ! »
Voilà pour ma fierté personnelle, je suis rhabillée pour la saison.
C’est vrai que nous aussi on a la mémoire qui flanche parfois.
Un regard qui insiste dans le métro, un visage dans la rue, une frimousse familière, mais impossible de remettre un nom sur cette silhouette frêle.
C’est sans doute un mécanisme de défense, nous nous préservons.
Mes omissions sont autant de luttes contre l’hypermnésie. Comment pourrions-nous vivre avec les visages de tous nos élèves dans la tête? Savoir à quel moment on leur a parlé, ce qu’on leur a dit ?
On a besoin de faire de la place affective et intellectuelle, comme on fait le vide dans nos placards, bureaux et sacs, pour reconstruire dès le 31 août cette année.
Les lycées américains ont une belle tradition je trouve,
un yearbook, un livre qui regroupe toutes les photos des élèves, avec les années d’étude au lycée, pour aider la mémoire qui défaille, et enfin remettre un nom sur ce visage qu’on connaissait et qu’on a oublié.
Bonjour,
À propos de faute(s) d’orthographe du chef du professeur, il m’est aussi arrivé d’en commettre, et là où elle(s) s’étale(nt) au grand jour : le tableau noir.
Il m’est venu d’ailleurs à l’esprit d’en relater la saynète tant ma confusion fut grande sur le moment. Je la partage : http://users.skynet.be/courstoujours/annexes/scenesscolaires/scenes.01.htm
Je vous souhaite, à vous-mêmes, à vos élèves et à tous ceux qui nous lisent des vacances reposantes.
Merci Michel, bonnes vacances à vous aussi.