Qu’est-ce qui reste ?

Bon, il semble que tout ait été dit sur la fin de l’année au fil de ces dernières semaines : conseils de classe, heures supplémentaires, orientation, fatigue, découragement.
Alors pour cette dernière chronique, je vais vous raconter un petit moment de bonheur qui entretient la machine à réfléchir sur la grande question de l’évaluation….

la liberté 2La liberté guidant le peuple. Delacroix. Tout le monde connaît. Nous traitions le chapitre final sur l’histoire de France de 1815 à 1914 avec une classe de quatrième, quand tout à coup, H., pas le meilleur élève de la classe dira-t-on avec euphémisme, tombe sur la photographie du tableau dans le manuel et s’écrie « oh mais j’connais, ça, Madame, on l’a fait en Français ». Stop, branle bas de combat, et les élèves de m’expliquer en vrac Hugo, Les Misérables, Gavroche, la République avec son bonnet, là, on sait jamais comment il s’appelle.

Je sors ma botte secrète : « Et non, cette femme ne représente pas la République. »

Stupeur.

Je laisse la révélation en suspend en leur annonçant que nous allons travailler sur ce tableau au prochain cours. Sourire satisfait des uns, moue dépitée des autres (« Encore ? Mais on sait déjà tout sur ce tableau, m’dame »), et ronchonnement des Schtroumpfs grognons.

Cours suivant : pour une fois, vidéo. 27 minutes d’enquête sur ce fameux tableau, et sur cette femme dévêtue devenue icône malgré elle. C’est sur Canal Educatif à la demande, et c’est formidablement bien fait. à voir ici.

On en profite pour compléter la chronologie distribuée, réviser du vocabulaire, bref, l’heure passe vite. Prise de notes obligatoire, en vue d’une réalisation personnelle. Les élèves jouent le jeu (et tiens, au passage, les notes prises sous forme de carte mentale fleurissent. Chouette, les techniques commencent à rentrer !). Ensuite, ce sera un temps de lecture silencieuse, individuelle et approfondie de l’analyse du tableau du site L’histoire par l’images ( voir l’analyse).

Au cours suivant, l’objectif de la séance est donné : « Rendre compte de vos lectures, de ce que vous avez appris sur ce tableau, en utilisant un ou plusieurs croquis (à disposition). La forme est libre. » C’est la dernière occasion pour cette année de faire comprendre à mes élèves que tout apprentissage a pour but de s’approprier des connaissances. Branle-bas de combat : ça discute, colorie, découpe… Point de numérique, de tablettes ou de padlet, rien que du papier, des ciseaux, de la colle, des feutres et du scotch… Mais rien n’est terminé à la fin de l’heure ; les élèves repartent donc avec leur ébauches sous le bras…

Le résultat au cours suivant est une moisson de croquis colorés, de mises en scène et de légendes qui ferait peut être se retourner dans sa tombe notre cher Eugène, mais qui reflète un réel plaisir des élèves à s’emparer du célébrissime tableau, qui n’est pas, donc, une représentation de la République…

Voir ici l’exposition virtuelle de leurs travaux.

table des expositions

Que faire de tout ça ? Exposé devant toute la classe ? Exposition dans le fond de la classe ?

Mais non, ils veulent que leur travail soit évalué. Je sens bien qu’ils avaient espoir que « ça compte encore dans la moyenne » quand bien même je leur avais dit l’inverse.

C’est l’occasion rêvée d’une réflexion sur l’évaluation…

Nous avons donc un long débat sur les critères pour évaluer ce type de travail ; les plus créatifs ne sont pas forcément les plus fervents défenseurs d’une valorisation de l’originalité… C’est la quantité de travail qui semble primer, et la discussion porte surtout sur le moyen d’évaluer cette quantité. Finalement, ils retiennent l’originalité, la clarté, la quantité et la bonne compréhension des informations restituées, et le soin. Il s’en suit une discussion acharnée sur le barème de chaque critère : pas question d’autre chose qu’une note sur 20… Malgré tous mes efforts pour interdire la question « c’est noté ? » tout au long de l’année, ils sont formatés, ces petits… Impossible de leur en faire démordre. Même si les notes sont arrêtées…

Deux grilles sont retenues : l’originalité est sur 2 ou sur 3, la quantité et la justesse des informations récoltent le plus fort taux (sur 5 ou sur 6).

Alors zou, ils se mettent en groupes, 6-7 élèves, choisissent le barème parmi les deux retenus, écoutent l’un des camarades exposer son travail, notent individuellement, l’orateur se note aussi, puis ils comparent et tentent de se mettre d’accord.

Formidable temps d’échange entre eux, occasion de mesurer la confiance en soi, la valeur d’un travail, l’équité d’une note, sa part de subjectivité. Aucun ne veut repartir avec son travail : « Faut que ce soit exposé Madame » – « OK je photographie tout, je fais un padlet, et je mets sur le blog, et j’expose pour la journée Portes ouvertes le 21 juin, … Ça ira comme ça ? ».

Ceux qui ne sont pas passés devant leurs camarades veulent absolument qu’on remette ça mardi. Et moi je repars ravie d’avoir vu des élèves créatifs et ingénieux, et avec mes éternelles questions sur l’auto-évaluation et la pédagogie à mettre en place pour que la note ne soit pas l’unique motivation…

Une chronique de Juliette Villeminot

http://lewebpedagogique.com/salle112/

Illustration : Tableau d’Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple sur Wikipedia crisco 1492

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