Longtemps je me suis couchée de bonne heure. Il faut bien dire que je n’avais pas le choix ! Chez mes parents, le soir dès 20h30, une seule alternative : on apprenait ses leçons, ou on allait se coucher ! C’était les années 80. Jeanne Mas et Téléphone caracolaient en tête du Top 50, Goldman avait encore des cheveux, Drucker animait Champs Elysées, JR complotait dans Dallas, Gainsbourg brûlait des billets, et Bernard Pivot nous faisait découvrir Soljenitsine et Bukowski dans Apostrophes. Mais pour moi, le soir, un choix très limité : « soit tu travailles, soit tu dors ».

eloge-tv
Quelques années plus tard, pour combler ces années d’intense frustration, je suis devenue une accro de la télé, une TV addict, une couch potato ! Dans mon studio d’étudiante, je me suis gavée de télé pour rattraper toutes ces années où mon temps devant le petit écran était compté. Tournez manège, Hélène et les garçons, Santa Barbara, je ne me suis rien épargnée ! La télé diabolisée était devenue ma meilleure amie !

Aujourd’hui que j’ai pris du recul et que je n’ai plus de revanche à prendre sur mes années lycée sans soirée télé, je fais un constat objectif : la télé m’a beaucoup apporté. Non, pas grâce à Philippe Risoli, Hélène Rollès ou Evelyne Leclerc 😀 mais plutôt grâce au journal télévisé qu’on regardait en famille tous les soirs – et aussi grâce à Envoyé Spécial et à Apostrophes qu’on enregistrait chaque semaine (sur VHS avec un magnétoscope qui avait coûté un bras 😉 )

À l’époque, l’offre de chaînes et de programmes était limitée et le journal télévisé était un incontournable, on disait « la grand messe du 20 heures ». Et, de fait, la grande majorité des familles françaises sacrifiait à ce rituel quotidiennement. Ainsi, la grande majorité d’une classe d’âge avait vu les mêmes informations, construisant ainsi volontairement ou involontairement, consciemment ou inconsciemment la même culture commune. Nous avions tous, par écran interposé, été témoins de la famine au Sahel, de la lente agonie de la petite fille colombienne embourbée après un glissement de terrain, de la libération de Jean-Paul Kauffmann…

Le jeudi soir, on avait une chance sur 5 de tomber sur Envoyé Spécial, pas une chance sur 50 ou 100 ! Aujourd’hui, l’audimat des journaux de 20 heures est réduit à la portion congrue, victime de la multitude de l’offre de divertissement. Et dans nos foyers, chacun est penché sur son écran personnel, absorbé par des sujets peut être intéressants, mais témoignant d’un intérêt individuel pour une chose particulière. Nous allons vers ce qui nous intéresse, les possibilités de se documenter sur un sujet particulier sont infinies, et nous avons toutes les raisons de nous en réjouir, bien sûr. Mais dans le même temps, en ne regardant que ce qui nous intéresse, nous renonçons à l’opportunité d’être surpris, bousculés, piqués de curiosité par un sujet auquel on aurait pas pensé pouvoir s’intéresser. Nous renonçons à la chance de pouvoir être touchés, émus, bouleversés par un reportage sur lequel nous serions tombés par hasard. Jacques Chancel, décédé le 23 décembre, disait qu’ « il ne faut pas donner au téléspectateur ce qu’il aime, mais ce qu’il pourrait aimer. » Alors bien sûr, rien n’est parfait dans la présentation de l’information, pas plus hier qu’aujourd’hui, mais il me semble que les journaux télévisés regardés par le plus grand nombre contribuaient tout de même à la création d’une culture générale commune qui, j’en ai l’impression, se racornit parmi les jeunes de génération Y.

10 réponses

  1. Défendre la télévision pas de soucis, par contre défendre le journal télévisé… Non. Vu la manipulation médiatique permanente, la sélection de l’information pour l’audimat et j’en passe autant se renseigner ailleurs.

  2. Oui, certainement toutes les émissions nous impreignent-elles mais chacun a son libre arbitre pour les choisir, je suis sûrement plus âgé que l’auteure de cet article mais comme elle, je suis heureux d’avoir été « Aphostrophovore », un soupçon « Chancelomaniaque », ce qui n’a jamais entamé ma faim de lectures mais ce qui a nourri de nombreux échanges. Aujourd’hui je ne trouve plus de quoi alimenter « notre culture commune » dans le paf mais les livres sont toujours là et, sont arrivés quelques espaces d’échanges comme celui-ci.

  3. Sans télévision, on peut faire plein de choses, dont lire l’excellent livre de Michel Desmurget: TV Lobotomie.
    Très bien documenté, en le refermant, j’ai peur des dégâts laissés par le petit écran: toutes les émissions nous imprègnent, que nous soyons conscients … ou non ! Et c’est là le pire !

  4. Une télévision allumée dans une maison, c´est comme une personne de plus, et de surcroît une personne qui, dès qu´elle ouvre la bouche, accapare l´attention de tout le monde, même de ceux qui en sont moyennement ou pas intéressés. Mettons 3 personnes dans un salon : une qui lit, deux qui discutent entre elle. Une personne entre dans la pièce et allume la télé. En moins d´une seconde, celle-ci s´installe dans l´intimité de tous, invitée ou non, et c´en est fini de la lecture et de la conversation. Ça, c´est pour l´agression.
    Ensuite, pour peu qu´on tombe sur une émission intéressante (que l´on pourra qualifier d´ « information désirée »), on passe généralement par le double ou le triple d´informations non-désirées (publicités, annonces, recherche par zapping et j´en passe). Bien sûr, on peut limiter les informations non-désirées en épluchant les magazines de programmation et n´allumer qu´à des heures précises (mais, on n´évitera pas les interruptions). Ça, c´est pour l´intoxication. Ô combien néfaste pour les enfants qui enregistrent toutes les images comme une représentation normale et fidèle du monde dans lequel ils vivent.
    Pour ce qui est du contenu des émissions intéressantes, l´internet propose une alternative aussi riche et une accessibilité infinie d´articles/vidéos sur (presque) tous les thèmes souhaités. On y retrouvera même les reportages et les informations passé-es à la télévision, avec, au choix, des commentaires aux points de vue multiples qui permettent souvent de plonger tout de suite dans le questionnement et/ou la remise-en-question du reportage et sans interruptions. Vu la quantité de ressources disponibles maintenant, on ne peut plus « ne pas être au courant » juste parce qu´on n´a pas vu telle émission télévisée. L´époque « d´exclusivité » de la télévision est donc bien révolue.
    Enfin, pour finir sur le sujet des informations, le journalisme télévisé est malheureusement entre les mains des chercheurs d´audimat, qui sélectionnent les événements, inversent les priorités, filtrent l´international, pour n´insister que sur ce qui gardera le téléspectateur surpris et/ou amusé. Et, si d´aventure, c´est une édition spéciale d´un événement particulier, on aura le droit à une répétition incessante des mêmes informations, des mêmes images, des mêmes interviews. Ça, c´est pour le bourrage de crâne.
    Est-ce que sans télévision on gagne forcément plus de temps pour faire autre chose ? pas forcément, car les milles distractions d´internet sont toutes aussi prenantes, et c´est nous qui décidons du temps que nous donnons à nos occupations. En fait, cela ne libère du temps qu´à celui qui s´en prive alors qu´il en était féru. Pour reprendre l´analogie faite au début du commentaire, c´est tout simplement une personne « invasive » de moins dans la maison, une personne dont la présence n´est absolument pas nécessaire puisque tout ce qu´elle apporte de « positif » peut être trouvé autre part avec moins d´agressivité, moins d´intoxication et moins de bourrage de crâne (enfin, il y a là sûrement un autre débat à propos d´internet, mais qui n´a pas lieu ici).
    Ce ne sont que des opinions personnelles d´une personne qui a choisi de vivre (et d´élever ses enfants) sans télévision.

  5. Un certain Patrick Le lay (Pdg de TF1) disait en 2004 :
    « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective ‘business’, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit.[…] Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.[…] Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise… […]
    La télévision, c’est une activité sans mémoire. Si l’on compare cette industrie à celle de l’automobile, par exemple, pour un constructeur d’autos, le processus de création est bien plus lent ; et si son véhicule est un succès il aura au moins le loisir de le savourer. Nous, nous n’en aurons même pas le temps ! […] Tout se joue chaque jour sur les chiffres d’audience. Nous sommes le seul produit au monde où l’on ‘connaît’ ses clients à la seconde, après un délai de vingt-quatre heures. »

  6. Hum ! Cet éloge me laisse perplexe. Néanmoins, il pose, implicitement, une question fondamentale : que faire sans la télévision ? Peut-on d’ailleurs faire sans télévision ? Ces deux questions ne sont que l’envers d’une autre : qu’aurions-nous pu faire si la télévision ne nous en avait pas privé par la présence qu’elle requiert devant elle et par le temps qu’il faut lui consacrer ? C’est souvent ce qui me navre le plus : que ce soit à nous-mêmes, que ce soit aux autres, tous les autres, la télévision nous soustrait à eux. Elle nous accapare. Exclusivement et, aujourd’hui, n’a même plus l’alibi de la culture (avec un « c » minuscule) commune. A quoi sert-elle fondamentalement ? A rien sinon à nous dés-angoisser, à nous dés-ennuyer (au sens où Giono et Pascal avant lui avaient fait de l’ennui, l’insupportable même). Il y a l’alibi d’Arte ou des « documentaires instructifs » qu’on agite comme un hochet à qui remet en cause la télévision. Chacun sait que c’est imposture. La télévision sert à ne pas avoir à parler aux autres, à s’adresser à eux; sert à ne pas avoir à lire, sert à ne pas avoir à réfléchir. Elle est reposante. Il n’existe qu’une seule façon d’échapper à sa puissance délétère : ne pas en avoir.

    1. Seigneur, quel sectarisme…
      J’aime la télé, j’aime les séries,j’aime les reportages, j’aime les documentaires, j’aime les films, j’aime les infos, les émissions culturelles et les émissions cucul… ah la la le repassage devant « Les feux de l’amour »! On peut regarder un épisode tous les dix ans et toujours suivre à peu près l’histoire…
      Et pourtant j’aime lire – toute la famille aime lire, d’ailleurs- j’aime écrire, j’aime le théâtre, j’aime le cinéma, j’aime la musique (Mozart, John Dowland et Marilyn Manson… entre des centaines d’autres
      Ce qui me choque toujours dans le discours des « anti-télé » c’est le mépris pour cet outil pas cher qui peut nous apporter encore beaucoup: le maître mot c’est tout de même « sélectionner », non?
      Parfois je comprends mieux pourquoi nos élèves perçoivent le terme « intello » comme une insulte…
      Et puis en quoi se détendre est-il un crime?

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