euthanasieL’euthanasie est un sujet complexe qui peut être abordé sous différents angles. Il faut le considérer d’abord en soi au niveau des principes qui le sous tendent, dans son rapport avec celui qui en fait la demande. Il y a aussi l’angle plus secondaire quoique réel de son impact sur les proches. La mort est un acte ayant une portée sociale, on ne peut faire l’économie de cette dimension, c’est pourquoi il faut rappeler aux élèves que les faits sont propres à l’histoire de chacun tout en ayant une dimension sociale.

Des faits au droit

Un fait d’actualité

Jeudi 16 janvier 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s’est prononcé contre l’euthanasie passive décidée par les médecins de Vincent Lambert, un tétraplégique en état de conscience minimale au CHU (Centre Hospitalier Universitaire) de Reims. L’euthanasie passive avait été décidée par le corps médical (décision d’arrêter l’alimentation et l’hydratation* de Vincent Lambert) en accord avec sa femme et une partie de sa famille.

Le tribunal a estimé que le contenu de la volonté de Vincent Lambert « ne pouvait être déterminé avec un degré de certitude suffisant » et a jugé que « c’est à tort que le CHU de Reims avait considéré que M. Lambert pouvait être regardé comme ayant manifesté sa volonté d’interrompre ce traitement ».

*D’un côté, les opposants estiment que l’alimentation est un soin de base dû à toute personne, pas un traitement. Ils dénoncent une interprétation « euthanasique » de la loi Leonetti. De l’autre, les partisans de l’euthanasie souhaiteraient que « cesse l’hypocrisie », et plaident pour l’autorisation de pratiquer un acte létal, qui permettrait une mort rapide.

On peut faire référence à la sagesse antique

« Je ne me sauverai point par la mort de la maladie, dans la mesure où elle est curable et ne nuit pas à l’âme. Je n’armerai point mes mains contre moi en raison de souffrances ; mourir de la sorte est une déroute. Cependant, si je me sais condamné à pâtir sans relâche, j’opérerai ma sortie, non en raison de la souffrance même, mais parce que j’aurai en elle un obstacle à tout ce qui est raison de vivre. Faible et lâche, qui a pour raison de mourir la souffrance ; insensé, qui vit pour souffrir »

Sénéque, Lettres à Lucilius, Robert Laffont, 1993, lettre 58-36, p 743

Un débat affectif et familial

Au lycée, il est envisageable de faire débattre une classe sur l’euthanasie, mais il s’agira évidemment de bien formuler la question pour ne pas tomber dans le piège du „pour ou contre“ l’euthanasie. Ainsi on peut exploiter la question de la définition, des limites de cette action par la problématique suivante : « L’euthanasie, affaire de sentiment ou de justice ». Ne pas hésiter à rappeler le débat d’Antigone entre la loi du coeur et la loi de la cité.

Présenter les arguments de la famille de Vincent Lambert peut être intéressant pour réfléchir sur les notions de particulier et d’universel en morale et en ce qui concerne le droit.

Pour une partie de la famille, ses parents et leurs avocats, Vincent Lambert n’est pas mourant et n’est pas malade. Il est handicapé. Pour eux, la loi Leonetti ne s’applique pas, et il est là question d’euthanasie. En outre, ils condamnent la partialité du médecin dans cette affaire. Selon Me Bruno Lorit, l’avocat de François Lambert, neveu du patient favorable à la décision de le laisser mourir, cette décision pourrait « créer une jurisprudence fâcheuse ». « Par définition, le tribunal interdit la loi Leonetti à tous les patients pauci- relationnels« , incapables de communiquer, ajoute-t-il.

En ce qui concerne l’aspect affectif du débat, on pourra faire étudier le texte du Manuel d’Epictète et expliquer la distinction stoïcienne entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas.

Quand tu vois quelqu’un qui pleure, soit parce qu’il est en deuil, soit parce que son fils est au loin, soit parce qu’il a perdu ses biens, prends garde que ton imagination ne t’emporte et ne te séduise en te persuadant que cet homme est effectivement malheureux à cause de ces choses extérieures; mais fais en toi-même cette distinction, que ce qui l’afflige, ce n’est point l’accident qui lui est arrivé, car un autre n’en est point ému, mais l’opinion qu’il en a. Si pourtant c’est nécessaire, ne refuse point de pleurer avec lui et de compatir à sa douleur par tes discours ; mais prends garde que ta compassion ne passe au dedans et que tu ne sois affligé véritablement.

Manuel (publié par Arrien au IIe siècle), Maximes XVI, Traduction André Dacier.

Débat, jurisprudence ou justice ?

Du mot „euthanasie“ à la jurisprudence

Les distinctions conceptuelles sont importantes pour préparer l’épreuve du baccalauréat. Il s’agit d’un effort pour définir les mots et interroger leur usage en tant qu’évidence ou présupposé. A partir de l’examen des notions d’euthanasie, de mort, il s’agit de confronter le domaine de la connaissance (la science du vivant) et celui de la morale (les pratiques et les fins). Avant de se demander si le droit peut éventuellement légaliser ou dépénaliser l’euthanasie, il faut se demander si certains actes peuvent devenir un ensemble de règles qui régissent la vie en société. Il s’agit alors de montrer que si le droit tend à légitimer l’euthanasie, cela ne consacre pas sa légalisation. D’autre part, il s’agit de faire réfléchir les élèves sur le caractère caduque à la fois des sondages et même de la position française sur la question.

Etymologiquement, « euthanasie » veut dire « bonne mort“, „mort douce et sans souffrance“. Si le mot euthanasie a été utilisé explicitement par Francis BACON (1561- 1626), il rappelle une pratique plus ancienne qui est le devoir des médecins à s’occuper des malades incurables. C’est au début du XX° siècle que le sens change quelque peu et l’euthanasie désigne une pratique -par action ou par omission- visant à provoquer le décès d’un individu atteint d’une maladie incurable. Cette action est décrite comme une pratique médicale (ou sous contrôle d’un médecin), quelles que soient les souffrances physiques ou morales intolérables dont souffre le patient.

Le mot jurisprudence désigne l’ensemble des arrêts et des jugements qu’ont rendu les Cours et les Tribunaux pour la solution d’une situation juridique donnée. Vers la fin du XX° siècle, le champ de définition du mot euthanasie s’avère trop étroit en raison d’un changement de la réalité sociale et médicale de la mort*. On ne peut pas considérer seulement les progrès de la médecine en ce qui concerne l’abolition de la douleur car des impasses thérapeutiques, des échecs de soins palliatifs existent et posent de nouvelles questions éthiques.

* Rappelons aussi que ces questions juridico-éthiques se sont posées à la suite de la seconde guerre mondiale et particulièrement en raison des comités d’euthanasie institués par le régime nazi. Le mot euthanasie est du reste toujours tabou en Allemagne où on lui préfère l’expression „aide à la mort (Sterbehilfe)“.

De la science à la loi.

On peut faire réfléchir les élèves sur le lien entre savoir et pouvoir (médecine) et entre pouvoir et droit. Il s’agit de s’interroger sur ce que dit la loi Leonetti de 2005 et sur ses présupposés philosophiques. Car la loi elle-même est difficile à interpréter, y compris dans son aspect juridique („une loi est-elle toujours juste ?“ est une interrogation pour préparer le baccalauréat). Faut-il condamner ceux qui aident les malades, dans une extrême souffrance, à mourir ? Cette question peut être traitée à condition de rappeler aux élèves que l’euthanasie est interdite en France et que cette loi fixe au médecin une double limite, de pouvoir abandonner les soins et de ne pas procéder à un acharnement thérapeutique dans des cas extrêmes. Le contrat entre le médecin et son patient oscille encore entre le „laisser mourir“ et la loi morale („tu ne tueras point“).

Dans le projet cartésien de „nous rendre comme maître et possesseur de la nature“, Descartes ne fait pas figurer l’éradication de la mort grâce au progrès des sciences et des techniques. Est-ce seulement une concession à la religion, seule garante de ce thème métaphysique qui, comme le rappelle Vladimir Jankélevitch reste du domaine de l’inévitable comme de l’inconnaissable ? „La mort, étant au delà de nos pouvoirs, marque les limites de toute technique (…) la mort est la maladie que nul remède ne guérira, que nulle médecine ne vaincra.“ Vladimir Jankélevitch, La mort p. 422

Or, aujourd’hui la mort est « apprivoisée », voire « maîtrisée », mais en tant qu’événement nous n’avons toujours pas de prise sur elle. Pouvons nous la décider ou l’anticiper ? Il semble que nos valeurs vacillent quand il s’agit de possibilité de mort et possibilité de vie ? Quelle vie décide-t-on en refusant la mort ? Qui peut décider, qui fixe les limites et donne une valeur à une vie dégradée dans laquelle notre volonté s’abîme ? La loi Léonetti sous entend que ce n’est pas le médecin qui a le droit de vie et de mort au regard des „directives anticipées“ (demande écrite et expresse du patient) et des volontés communes des proches. Mais alors quels sont les présupposés philosophiques dictant cette action ?

Les principales dispositions de la loi Leonetti en cinq points :

• Le but de la loi sur la fin de vie datée du 22 avril 2005 : lutter contre l’acharnement thérapeutique. Comment ? Il prévoit que les médecins, dans le cadre d’une procédure collégiale et non individuelle, peuvent « décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie ».

• Pour prendre sa décision, le corps médical doit tenir compte de l’avis du patient ou avoir consulté la personne de confiance qu’il a désignée, voire sa famille, ou les « directives anticipées » qu’il a pu formuler. Dans la situation où un malade, qui n’est pas en fin de vie, refuse un traitement mettant son existence en danger, le médecin « peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable », selon la loi.

• Le texte permet l’administration par les médecins de traitements anti-douleur permettant de soulager la souffrance avec pour « effet secondaire d’abréger la vie » d’un malade en « phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ». Elle pose comme condition d’en informer le malade, la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un proche.

• « En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés et l’assister moralement » et « s’abstenir de toute obstination déraisonnable » en matière de soins, précise l’un des décrets d’application de la loi.

• Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour indiquer ses souhaits sur sa fin de vie, au cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives sont révocables à tout moment.

En résumé, le texte instaure un droit au « laisser mourir », sans permettre aux médecins de pratiquer une euthanasie active.

Dignité et liberté

Si les élèves en arrivent à la conclusion que le droit, l’ensemble des règles qui régissent la vie en société, ne légitime pas l’euthanasie, on peut aller plus loin : De quoi est-il question dans les débats qui pose problème et empêche de légiférer sereinement ? Il faut revenir sur la notion de dignité en particulier au sens ontologique, non pas seulement le sentiment de dignité mais la dignité absolue par laquelle nous affirmons que tous les êtres humains sont égaux en dignité. Tous les hommes ont la même dignité mais tous ont-ils la même liberté de mourir, un droit à mourir dignement et librement ?

On peut faire travailler les élèves sur la notion de dignité à partir de la définition qu’en donne Kant, c’est-à-dire en tant que personne morale qui constitue une fin en soi : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de toute autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». Le respect de la personne humaine est donc au cœur de la loi morale, de l’impératif catégorique qui me dicte de toujours agir par devoir et repose sur l’idée que l’homme occupe une place particulière dans le monde. Or en ce

qui concerne le handicap, la maladie et la mort, ce sont les conditions de vie qui sont indignes mais cela n’empêche pas l ‘homme de garder sa dignité au sens de l’universalité de la personne humaine. Face à l’indignité des conditions de vie, la réponse ne serait-elle pas le respect absolu de la personne par ceux qui l’entourent ? Si dans les cas de souffrance extrême ces patients demeurent des personnes, c’est en raison de leurs proches qui ne les considèrent pas comme des corps sans âme, c’est parce que la médecine n’est ni simplement une science, ni seulement une technique qui aurait des objets à réparer. C’est cette dignité qui s’instaure dans la dimension relationnelle qu’il est important de souligner, pour reprendre une expression de Paul Ricoeur, c’est « soi-même comme un autre » l’enjeu de la dimension éthique du soin , l’aspect singulier cette fois de la dignité.

Dans l’Ethique, livre IV proposition 67, Spinoza affirme : « L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie ». Est-ce à dire qu’il met fin à l’injonction de Montaigne selon laquelle « philosopher c’est apprendre à mourir ? » Dans la démonstration de la proposition 67 citée ci-dessus, Spinoza explique que le but de la philosophie est de vivre pleinement et d’atteindre la liberté en se débarrassant de la crainte de la mort :

« L’homme libre, c’est-à-dire celui qui vit selon le seul commandement de la raison, n’est pas conduit par la crainte de la mort, mais désire le bien directement, c’est-à-dire qu’il désire agir, vivre, conserver son être selon le principe de chercher l’utile qui nous est propre. Et par conséquent, il ne pense à rien moins qu’à la mort ; mais sa sagesse est une méditation de la vie ».

Bien sûr Spinoza ne donne pas de réponse ni de leçons à ceux qui, touchés par la maladie, le vieillissement ou le handicap pourraient se réfugier dans l’imaginaire ou la crainte irrationnelle de la mort. Mais il permet de souligner le fait qu’une réponse relève d’un choix éthique, individuel ou collectif, d’une liberté qu’aucun acte médical ne pourra décider*. Si l’on ne peut aujourd’hui se passer de la médecine pour ces cas exceptionnels qui permettent de prolonger la vie, de soulager les souffrances, le paradoxe c’est que le pouvoir médical ne peut pas émettre des volontés, elle ne peut rien par rapport aux choix individuels ou collectifs qu’une société doit prévoir pour préserver la liberté. Davantage que la dignité, il s’agit alors, comme le rappelle André Comte-Sponville, de « valoriser ce qui fait la grandeur des êtres humains, une forme de liberté qu’ils possèdent ».

* On peut citer le philosophe Michel Foucault : « La philosophie antique nous apprenait à accepter notre mort, la philosophie moderne la mort des autres. » Gilles Deleuze qui, se sachant atteint d’une maladie incurable a décidé d’interrompre sa vie, sans explication semble-t-il personnelle de son acte. On peut cependant lire des pages importantes dans ses Pourparlers sur la question de la vie, vaut-elle ou non la peine d’être vécue ?

Intérêts philosophiques

Thèmes du programme de terminale
La justice et le droit, la société La science et la technique (la médecine), Le vivant, la matière et l’esprit La morale, autrui, la liberté.

Bibliographie

Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Deuxième section Jankélevitch, La mort, Champs, essais, Gallimard
Spinoza, Ethique, IV proposition 67
Gilles Deleuze, Pourparlers et Dialogues avec Claire Parnet
Éric Fiat, Grandeurs et misères des hommes – Petit traité de dignité, Larousse, Paris, 2010.
Michel Foucault, « Droit de mort et pouvoir sur la vie », La Volonté de savoir, T. I, Histoire de la sexualité, Folioplus, philosophie

 

 

Florence BEGEL 

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